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CHAPITRE CXCI.

Payanotos, ou Payanoti. Le prince Cantemir prétend que ce Grec détermina le conseil de Candie à capituler, par un stratagème digne d’Ulysse. Quelques vaisseaux français, chargés de provisions pour Candie, étaient en route. Payanotos fit arborer le pavillon français à plusieurs vaisseaux turcs qui, ayant pris le large pendant la nuit, entrèrent le jour à la rade occupée par la flotte ottomane, et furent reçus avec des cris d’allégresse. Payanotos, qui négocia avec le conseil de guerre de Candie, leur persuada que le roi de France abandonnait les intérêts de la république en faveur des Turcs dont il était allié ; et cette feinte hâta la capitulation. Le capitaine général Morosini fut accusé en plein sénat d’avoir trahi Venise. Il fut défendu avec autant de véhémence qu’on en mit à l’accuser. C’est encore une ressemblance avec les anciennes républiques grecques, et surtout avec la romaine. Morosini se justifia depuis en faisant sur les Turcs la conquête du Péloponèse, qu’on nomme aujourd’hui Morée, conquête dont Venise a joui trop peu de temps. Ce grand homme mourut doge, et laissa après lui une réputation qui durera autant que Venise.

Pendant la guerre de Candie il arriva chez les Turcs un événement qui fut l’objet de l’attention de l’Europe et de l’Asie. Il s’était répandu un bruit général, fondé sur la vaine curiosité, que l’année 1666 devait être l’époque d’une grande révolution sur la terre. Le nombre mystique de 666 qui se trouve dans l’Apocalypse était la source de cette opinion. Jamais l’attente de l’antechrist ne fut si universelle. Les Juifs, de leur côté, prétendirent que leur messie devait naître cette année.

Un Juif de Smyrne, nommé Sabatei-Sevi, homme assez savant, fils d’un riche courtier de la factorerie anglaise, profita de cette opinion générale, et s’annonça pour le messie. Il était éloquent et d’une figure avantageuse, affectant de la modestie, recommandant la justice, parlant en oracle, disant partout que les temps étaient accomplis. Il voyagea d’abord en Grèce et en Italie. Il enleva une fille à Livourne, et la mena à Jérusalem, où il commença à prêcher ses frères.

C’est chez les Juifs une tradition constante que leur Shilo, leur Messiah, leur vengeur et leur roi, ne doit venir qu’avec Élie. Ils se persuadent qu’ils ont eu un Éliah qui doit reparaître au renouvellement de la terre. Cet Éliah, que nous nommons Élie, a été pris par quelques savants pour le soleil, à cause de la conformité du mot Ἣλιος, qui signifie le soleil chez les Grecs, et parce qu’Élie, ayant été transporté hors de la terre dans un char de feu, attelé de quatre chevaux ailés, a beaucoup de ressemblance avec