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CHAPITRE CXC.

(1610) Les boyards alors offrirent leur couronne au prince Ladislas, fils de Sigismond, roi de Pologne. Ladislas se préparait à venir la recevoir, lorsqu’il parut encore un quatrième Demetri pour la lui disputer. Celui-ci publia que Dieu l’avait toujours conservé, quoiqu’il eût été assassiné à Uglis par le tyran Boris, à Moscou par l’usurpateur Zuski, et ensuite par des Tartares. Il trouva des partisans qui crurent ces trois miracles. La ville de Pleskou le reconnut pour czar ; il y établit sa cour quelques années, pendant que les Russes, se repentant d’avoir appelé les Polonais, les chassaient de tous côtés, et que Sigismond renonçait à voir son fils Ladislas sur le trône des czars. Au milieu de ces troubles, on mit sur le trône le fils du patriarche Fédor Romanow : ce patriarche était parent, par les femmes, du czar Jean Basilides. Son fils, Michel Fédérowitz, c’est-à-dire fils de Fédor, fut élu à l’âge de dix-sept ans par le crédit du père. Toute la Russie reconnut ce Michel, et la ville de Pleskou lui livra le quatrième Demetri, qui finit par être pendu.

Il en restait un cinquième : c’était le fils du premier, qui avait régné en effet, de celui-là même qui avait épousé la fille du palatin de Sandomir. Sa mère l’enleva de Moscou lorsqu’elle alla trouver le troisième Demetri, et qu’elle feignit de le reconnaître pour son véritable mari. (1633) Elle se retira ensuite chez les cosaques avec cet enfant, qu’on regardait comme le petit-fils de Jean Basilides, et qui, en effet, pouvait bien l’être. Mais dès que Michel Fédérowitz fut sur le trône, il força les Cosaques à lui livrer la mère et l’enfant, et les fit noyer l’un et l’autre.

On ne s’attendait pas à un sixième Demetri. Cependant, sous l’empire de Michel Fédérowitz en Russie, et sous le règne de Ladislas en Pologne, on vit encore un nouveau prétendant de ce nom à la cour de Russie. Quelques jeunes gens, en se baignant avec un Cosaque de leur âge, aperçurent sur son dos des caractères russes, imprimés avec une aiguille ; on y lisait : Demetri, fils du czar Demetri. Celui-ci passa pour ce même fils de la palatine de Sandomir, que le czar Fédérowitz avait fait noyer dans un étang glacé. Dieu avait opéré un miracle pour le sauver ; il fut traité en fils du czar à la cour de Ladislas, et on prétendait bien se servir de lui pour exciter de nouveaux troubles en Russie. La mort de Ladislas, son protecteur, lui ôta toute espérance : il se retira en Suède, et de là dans le Holstein ; mais malheureusement pour lui le duc de Holstein ayant envoyé en Moscovie une ambassade pour établir un commerce de soie de Perse, et son ambassadeur n’ayant réussi qu’à faire des dettes à Moscou, le duc de