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DU DANEMARK AU XVIIe SIÈCLE.

(1632) Christine, sa fille, non moins célèbre que lui, ayant régné aussi glorieusement que son père avait combattu, et ayant présidé aux traités de Vestphalie qui pacifièrent l’Allemagne, étonna l’Europe par l’abdication de sa couronne, à l’âge de vingt-sept ans. Puffendorf dit qu’elle fut obligée de se démettre ; mais en même temps il avoue que, lorsque cette reine communiqua pour la première fois sa résolution au sénat, en 1651, des sénateurs en larmes la conjurèrent de ne pas abandonner le royaume ; qu’elle n’en fut pas moins ferme dans le mépris de son trône, et qu’enfin, ayant assemblé les états (21 mai 1654), elle quitta la Suède, malgré les prières de tous ses sujets. Elle n’avait jamais paru incapable de porter le poids de la couronne ; mais elle aimait les beaux-arts. Si elle avait été reine en Italie, où elle se retira, elle n’eût point abdiqué. C’est le plus grand exemple de la supériorité réelle des arts, de la politesse, et de la société perfectionnée, sur la grandeur qui n’est que grandeur.

Charles X, son cousin, duc de Deux-Ponts, fut choisi par les états pour son successeur. Ce prince ne connaissait que la guerre. Il marcha en Pologne, et la conquit avec la même rapidité que nous avons vu Charles XII, son petit-fils, la subjuguer, et il la perdit de même. Les Danois, alors défenseurs de la Pologne, parce qu’ils étaient toujours ennemis de la Suède, tombèrent sur elle (1658) ; mais Charles X, quoique chassé de la Pologne, marcha sur la mer, glacée, d’île en île jusqu’à Copenhague. Cet événement prodigieux fit enfin conclure une paix qui rendit à la Suède la Scanie, perdue depuis trois siècles.

Son fils, Charles XI, fut le premier roi absolu, et son petit-fils, Charles XII, fut le dernier[1]. Je n’observerai ici qu’une seule chose, qui montre combien l’esprit du gouvernement a changé dans le Nord, et combien il a fallu de temps pour le changer. Ce n’est qu’après la mort de Charles XII que la Suède, toujours guerrière, s’est enfin tournée à l’agriculture et au commerce, autant qu’un terrain ingrat et la médiocrité de ses richesses peuvent le permettre. Les Suédois ont eu enfin une compagnie des Indes, et leur fer, dont ils ne se servaient autrefois que pour combattre, a été porté avec avantage sur leurs vaisseaux, du port de Gothembourg aux provinces méridionales du Mogol et de la Chine.

Voici une nouvelle vicissitude et un nouveau contraste dans le Nord. Cette Suède, despotiquement gouvernée, est devenue de nos jours le royaume de la terre le plus libre, et celui où les rois

  1. Comparez à cet abrégé les premières pages de l’Histoire de Charles XII.