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DES SUCCESSEURS DE SIXTE-QUINT.

ville. Cette coutume dure encore aujourd’hui ; il y a des États que le luxe enrichit, il y en a d’autres qu’il appauvrit. La splendeur de quelques cardinaux et des parents des papes servait à faire mieux remarquer l’indigence des autres citoyens, qui pourtant, à la vue de tant de beaux édifices, semblaient s’enorgueillir, dans leur pauvreté, d’être habitants de Rome.

Les voyageurs qui allaient admirer cette ville étaient étonnés de ne voir, d’Orviette à Terracine, dans l’espace de plus de cent milles, qu’un terrain dépeuplé d’hommes et de bestiaux. La campagne de Rome, il est vrai, est un pays inhabitable, infecté par des marais croupissants, que les anciens Romains avaient desséchés. Rome, d’ailleurs, est dans un terrain ingrat, sur le bord d’un fleuve qui est à peine navigable. Sa situation entre sept montagnes était plutôt celle d’un repaire que d’une ville. Ses premières guerres furent les pillages d’un peuple qui ne pouvait guère vivre que de rapines ; et lorsque le dictateur Camille eut pris Véies, à quelques lieues de Rome, dans l’Ombrie, tout le peuple romain voulut quitter son territoire stérile et ses sept montagnes pour se transplanter au pays de Véies. On ne rendit depuis les environs de Rome fertiles qu’avec l’argent des nations vaincues, et par le travail d’une foule d’esclaves ; mais ce terrain fut plus couvert de palais que de moissons. Il a repris enfin son premier état de campagne déserte.

Le saint-siége possédait ailleurs de riches contrées, comme celle de Bologne. L’évêque de Salisbury, Burnet, attribue la misère du peuple, dans les meilleurs cantons de ce pays, aux taxes et à la forme du gouvernement. Il a prétendu, avec presque tous les écrivains, qu’un prince électif, qui règne peu d’années, n’a ni le pouvoir ni la volonté de faire de ces établissements utiles qui ne peuvent devenir avantageux qu’avec le temps. Il a été plus aisé de relever les obélisques, et de construire des palais et des temples, que de rendre la nation commerçante et opulente. Quoique Rome fut la capitale des peuples catholiques, elle était cependant moins peuplée que Venise et Naples, et fort au-dessous de Paris et de Londres ; elle n’approchait pas d’Amsterdam pour l’opulence, et pour les arts nécessaires qui la produisent. On ne comptait, à la fin du XVIIe siècle, qu’environ cent vingt mille habitants dans Rome, par le dénombrement imprimé des familles ; et ce calcul se trouvait encore vérifié par les registres des naissances. Il naissait, année commune, trois mille six cents enfants ; ce nombre de naissances, multiplié par trente-quatre, donne toujours à peu près la somme des habitants, et cette somme