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DES SUCCESSEURS DE SIXTE-QUINT.

d’Ossat ; mais on voit combien la cour de Rome craignait toujours Philippe II, par les ménagements et les artifices dont usa Clément VIII pour parvenir à réconcilier Henri IV avec l’Église. (1595) Ce prince avait abjuré solennellement la religion réformée ; et cependant les deux tiers des cardinaux persistèrent dans un consistoire à lui refuser l’absolution. Les ambassadeurs du roi eurent beaucoup de peine à empêcher que le pape se servit de cette formule : « Nous réhabilitons Henri dans sa royauté[1]. » Le ministère de Rome voulait bien reconnaître Henri pour roi de France, et opposer ce prince à la maison d’Autriche ; mais en même temps Rome soutenait, autant qu’elle pouvait, son ancienne prétention de disposer des royaumes.

Sous Borghèse, Paul V, renaquit l’ancienne querelle de la juridiction séculière et de l’ecclésiastique, qui avait fait verser autrefois tant de sang. (1605) Le sénat de Venise avait défendu les nouvelles donations faites aux églises sans son concours, et surtout l’aliénation des biens-fonds en faveur des moines. Il se crut aussi en droit de faire arrêter et de juger un chanoine de Vicence, et un abbé de Nervèse, convaincus de rapines et de meurtres.

Le pape écrivit à la république que les décrets et l’emprisonnement des deux ecclésiastiques blessaient l’honneur de Dieu ; il exigea que les ordonnances du sénat fussent remises à son nonce, et qu’on lui rendît aussi les deux coupables, qui ne devaient être justiciables que de la cour romaine.

Paul V, qui peu de temps auparavant avait fait plier la république de Gênes dans une occasion pareille, crut que Venise aurait la même condescendance. Le sénat envoya un ambassadeur extraordinaire pour soutenir ses droits. Paul répondit à l’ambassadeur que ni les droits ni les raisons de Venise ne valaient rien, et qu’il fallait obéir. Le sénat n’obéit point. Le doge et les sénateurs furent excommuniés (17 avril 1606), et tout l’État de Venise mis en interdit, c’est-à-dire qu’il fut défendu au clergé, sous peine de damnation éternelle, de dire la messe, de faire le service, d’administrer aucun sacrement, et de prêter son ministère à la sépulture des morts. C’était ainsi que Grégoire VII et ses successeurs en avaient usé envers plusieurs empereurs, bien sûrs alors que les peuples aimeraient mieux abandonner leurs empereurs que leurs églises, et comptant toujours sur des princes prêts à envahir les domaines des excommuniés. Mais les temps étaient

  1. Voyez le Cri des nations, (Mélanges, année 1769.)