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DE SIXTE-QUINT.

Ce pape parut encore moins conserver la grandeur et l’impartialité de son ministère quand, après le parricide du moine Jacques Clément, il prononça devant les cardinaux ces propres paroles, fidèlement rapportées par le secrétaire du consistoire : « Cette mort, dit-il, qui donne tant d’étonnement et d’admiration, sera crue à peine de la postérité. Un très-puissant roi, entouré d’une forte armée qui a réduit Paris à lui demander miséricorde, est tué d’un seul coup de couteau par un pauvre religieux. Certes, ce grand exemple a été donné afin que chacun connaisse la force des jugements de Dieu. » Ce discours du pape parut horrible, en ce qu’il semblait regarder le crime d’un scélérat insensé comme une inspiration de la Providence.

Sixte était en droit de refuser les vains honneurs d’un service funèbre à Henri III, qu’il regardait comme exclu de la participation aux prières. Aussi dit-il dans le même consistoire : « Je les dois au roi de France, mais je ne les dois pas à Henri de Valois impénitent. »

Tout cède à l’intérêt : ce même pape, qui avait privé si fièrement Élisabeth et le roi de Navarre de leurs royaumes, qui avait signifié au roi Henri III qu’il fallait venir répondre à Rome dans soixante jours, ou être excommunié, refusa pourtant à la fin de prendre le parti de la Ligue et de l’Espagne contre Henri IV, alors hérétique. Il sentait que si Philippe II réussissait, ce prince, maître à la fois de la France, du Milanais, et de Naples, le serait bientôt du saint-siége et de toute l’Italie. Sixte-Quint fit donc ce que tout homme sage eût fait à sa place : il aima mieux s’exposer à tous les ressentiments de Philippe II que de se ruiner lui-même en prêtant la main à la ruine de Henri IV. Il mourut dans ces inquiétudes (26 auguste 1590), n’osant secourir Henri IV, et craignant Philippe II. Le peuple romain, qui gémissait sous le fardeau des taxes, et qui haïssait un gouvernement triste et dur, éclata à la mort de Sixte ; on eut beaucoup de peine à l’empêcher de troubler la pompe funèbre, de déchirer en pièces celui qu’il avait adoré à genoux. Presque tous ses trésors furent dissipés un an après sa mort, ainsi que ceux de Henri IV : destinée ordinaire qui fait voir assez la vanité des desseins des hommes.

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