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CHAPITRE CLXXXIV.

son caractère ; c’est là ce qui mit son nom parmi les noms illustres, du vivant même de Henri et d’Élisabeth. Les autres souverains risquaient alors leur trône, quand ils tentaient quelque entreprise sans le secours de ces nombreuses armées qu’ils ont entretenues depuis : il n’en était pas ainsi des souverains de Rome qui, réunissant le sacerdoce et l’empire, n’avaient pas même besoin d’une garde.

Sixte-Quint se fit une grande réputation en embellissant et en poliçant Rome, comme Henri IV embellissait et poliçait Paris : mais ce fut là le moindre mérite de Henri, et c’était le premier de Sixte. Aussi ce pape fit en ce genre de bien plus grandes choses que le roi de France : il commandait à un peuple bien plus paisible, et alors infiniment plus industrieux, et il avait dans les ruines et dans les exemples de l’ancienne Rome, et encore dans les travaux de ses prédécesseurs, tout l’encouragement à ses grands desseins.

Du temps des Césars romains, quatorze aqueducs immenses, soutenus sur des arcades, voituraient des fleuves entiers à Rome l’espace de plusieurs milles, et y entretenaient continuellement cent cinquante fontaines jaillissantes, et cent dix-huit grands bains publics, outre l’eau nécessaire à ces mers artificielles sur lesquelles on représentait des batailles navales. Cent mille statues ornaient les places publiques, les carrefours, les temples, les maisons. On voyait quatre-vingt-dix colosses élevés sur des portiques; quarante-huit obélisques de marbre de granit, taillés dans la haute Égypte, étonnaient l’imagination, qui concevait à peine comment on avait pu transporter du tropique aux bords du Tibre ces masses prodigieuses. Il restait aux papes de restaurer quelques aqueducs, de relever quelques obélisques ensevelis sous des décombres, de déterrer quelques statues.

Sixte-Quint rétablit la fontaine Mazia, dont la source est à vingt milles de Rome, auprès de l’ancienne Préneste, et il la fit conduire par un aqueduc de treize mille pas : il fallut élever des arcades dans un chemin de sept milles de longueur ; un tel ouvrage, qui eût été peu de chose pour l’empire romain, était beaucoup pour Rome pauvre et resserrée.

Cinq obélisques furent relevés par ses soins. Le nom de l’architecte Fontana, qui les rétablit, est encore célèbre à Rome ; celui des artistes qui les taillèrent, qui les transportèrent de si loin, n’est pas connu. On lit dans quelques voyageurs, et dans cent auteurs qui les ont copiés, que quand il fallut élever sur son piédestal l’obélisque du Vatican, les cordes employées à cet usage