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CHAPITRE CLXXXII.

Il y eut dès le temps de la reine Élisabeth une compagnie des Indes, antérieure même à celle de Hollande, et on en forma encore une nouvelle du temps du roi Guillaume. Depuis 1597 jusqu’en 1612, les Anglais furent seuls en possession de la pêche de la baleine ; mais leurs plus grandes richesses vinrent toujours de leurs troupeaux. D’abord ils ne surent que vendre les laines ; mais depuis Élisabeth ils manufacturèrent les plus beaux draps de l’Europe. L’agriculture, longtemps négligée, leur a tenu lieu enfin des mines du Potose. La culture des terres a été surtout encouragée, lorsqu’on a commencé, en 1689, à donner des récompenses à l’exportation des grains. Le gouvernement a toujours accordé depuis ce temps-là cinq schellings pour chaque mesure de froment portée à l’étranger, lorsque cette mesure, qui contient vingt-quatre boisseaux de Paris, ne vaut à Londres que deux livres huit sous sterling. La vente de tous les autres grains a été encouragée à proportion ; et dans les derniers temps il a été prouvé dans le parlement que l’exportation des grains avait valu en quatre années cent soixante-dix millions trois cent trente mille livres de France.

L’Angleterre n’avait pas encore toutes ces grandes ressources du temps de Charles II : elle était encore tributaire de l’industrie de la France, qui tirait d’elle plus de huit millions chaque année par la balance du commerce. Les manufactures de toiles, de glaces, de cuivre, d’airain, d’acier, de papier, de chapeaux même, manquaient aux Anglais : c’est la révocation de l’édit de Nantes qui leur a donné presque toute cette nouvelle industrie.

On peut juger par ce seul trait si les flatteurs de Louis XIV ont eu raison de le louer d’avoir privé la France de citoyens utiles. Aussi, en 1687, la nation anglaise, sentant de quel avantage lui seraient les ouvriers français réfugiés chez elle, leur a donné quinze cent mille francs d’aumônes, et a nourri treize mille de ces nouveaux citoyens dans la ville de Londres, aux dépens du public, pendant une année entière.

Cette application au commerce, dans une nation guerrière, l’a mise enfin en état de soudoyer une partie de l’Europe contre la France. Elle a de nos jours multiplié son crédit, sans augmenter ses fonds, au point que les dettes de l’État aux particuliers ont monté à cent de nos millions de rente. C’est précisément la situation où s’est trouvé le royaume de France, dans lequel l’État,