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CHAPITRE LXXXVIII.

que vingt-cinq chevaliers, parmi lesquels était le comte de Nevers, depuis duc de Bourgogne, auquel il dit en recevant sa rançon : « Je pourrais l’obliger à faire serment de ne plus l’armer contre moi ; mais je méprise les serments et tes armes[1]. » Ce duc de Bourgogne était ce même Jean sans Peur, assassin du duc d’Orléans, et assassiné depuis par Charles VII. Et nous nous vantons d’être plus humains que les Turcs !

Après cette défaite, Manuel Paléologue, qui était devenu empereur de la ville de Constantinople, court chez les rois de l’Europe comme son père Jean Ier et son fils Jean II. Il vient en France chercher de vains secours. On ne pouvait prendre un temps moins propice : c’était celui de la frénésie de Charles VI, et des désolations de la France. Manuel Paléologue resta deux ans entiers à Paris, tandis que la capitale des chrétiens d’Orient était bloquée par les Turcs. Enfin le siége est formé, et sa perte semblait certaine, lorsqu’elle fut différée par un de ces grands événements qui bouleversent le monde.

La puissance des Tartares-Mogols, de laquelle nous avons vu l’origine, dominait du Volga aux frontières de la Chine et au Gange. Tamerlan, l’un de ces princes tartares, sauva Constantinople en attaquant Bajazet.

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CHAPITRE LXXXVIII.


De Tamerlan.


Timour, que je nommerai Tamerlan pour me conformer à l’usage, descendait de Gengis par les femmes, selon les meilleurs historiens. Il naquit, l’an 1357, dans la ville de Cash, territoire de

  1. Voici son discours : « Jean, je sais que tu es un grand seigneur en ton pays, et fils d’un grand seigneur. Tu es jeune, tu as un long avenir. Il se peut que tu rassembles contre moi une puissante armée. Je pourrais, avant de te délivrer, te faire jurer, sur ta foi et ta loi, que tu n’armeras contre moi ni toi ni tes gens. Mais non, je ne ferai faire ce serment ni à eux ni à toi. Quand tu seras de retour là-bas, arme-toi, si cela te fait plaisir, et viens m’attaquer. Et ce que je te dis, je le dis pour tous les chrétiens que tu voudrais amener. Je suis né pour guerroyer toujours, toujours conquérir. »