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CHAPITRE LXXXVII.

les princes croisés, en usurpant l’empire d’Orient, l’affaiblirent. Les Grecs ne le reprirent que déchiré et appauvri.

On doit se souvenir que cet empire retourna aux Grecs en 1261, et que Michel Paléologue l’arracha aux usurpateurs latins, pour le ravir à son pupille Jean Lascaris. Il faut encore se représenter que dans ce temps-là le frère de saint Louis, Charles d’Anjou, envahissait Naples et Sicile, et que, sans les Vêpres siciliennes, il eût disputé au tyran Paléologue la ville de Constantinople, destinée à être la proie des usurpateurs.

Ce Michel Paléologue ménageait les papes pour détourner l’orage. Il les flatta de la soumission de l’Église grecque ; mais sa basse politique ne put l’emporter contre l’esprit de parti et la superstition qui dominaient dans son pays. Il se rendit si odieux par ce manège, que son propre fils Andronic, schismatique, malheureusement zélé, n’osa ou ne voulut pas lui donner les honneurs de la sépulture chrétienne (1283).

Ces malheureux Grecs, pressés de tous côtés, et par les Turcs et par les Latins, disputaient cependant sur la transfiguration de Jésus-Christ. La moitié de l’empire prétendait que la lumière du Thabor était éternelle, et l’autre, que Dieu l’avait produite seulement pour la transfiguration. Une grande secte de moines et de dévots contemplatifs voyaient cette lumière à leur nombril, comme les fakirs des Indes voient la lumière céleste au bout de leur nez. Cependant les Turcs se fortifiaient dans l’Asie Mineure, et bientôt inondèrent la Thrace.

Ottoman[1], de qui sont descendus tous les empereurs osmanlis, avait établi le siége de sa domination à Burse en Bithynie. Orcan son fils vint jusqu’aux bords de la Propontide, et l’empereur Jean Cantacuzène fut trop heureux de lui donner sa fille en mariage. Les noces furent célébrées à Scutari, vis-à-vis de Constantinople. Bientôt après, Cantacuzène, ne pouvant plus garder l’empire qu’un autre lui disputait, s’enferma dans un monastère. Un empereur, beau-père du sultan, et moine, annonçait la chute de l’empire. Les Turcs n’avaient point encore de vaisseaux, et ils voulaient passer en Europe. Tel était l’abaissement de l’empire que les Génois, moyennant une faible redevance, étaient les maîtres de Galata, qu’on regarde comme un faubourg de Constantinople, séparé par un canal qui forme le port. Le sultan Amurat, fils d’Orcan, engagea, dit-on, les Génois à passer ses soldats au deçà du détroit. Le marché se conclut, et

  1. Ou mieux Othman. (G. A.)