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CHAPITRE LXXXII.

ont dit des honneurs qu’on lui offrit à Paris, de ceux qu’il reçut à Rome, de ce triomphe au Capitole en 1341 : célèbre hommage que l’étonnement de son siècle payait à son génie alors unique, mais surpassé depuis par l’Arioste et par le Tasse. Je ne passerai pas sous silence que sa famille avait été bannie de Toscane et dépouillée de ses biens, pendant les dissensions des guelfes et des gibelins, et que les Florentins lui députèrent Boccace pour le prier de venir honorer sa patrie de sa présence, et y jouir de la restitution de son patrimoine, La Grèce, dans ses plus beaux jours, ne montra jamais plus de goût et plus d’estime pour les talents.

Ce Boccace fixa la langue toscane : il est encore le premier modèle en prose pour l’exactitude et pour la pureté du style, ainsi que pour le naturel de la narration. La langue, perfectionnée par ces deux écrivains, ne reçut plus d’altération, tandis que tous les autres peuples de l’Europe, jusqu’aux Grecs mêmes, ont changé leur idiome.

Il y eut une suite non interrompue de poètes italiens qui ont tous passé à la postérité : car le Pulci écrivit après Pétrarque ; le Boyardo, comte de Scandiano, succéda au Pulci ; et l’Arioste les surpassa tous par la fécondité de son imagination. N’oublions pas que Pétrarque et Boccace avaient célébré cette infortunée Jeanne de Naples, dont l’esprit cultivé sentait tout leur mérite, et qui fut même une de leurs disciples. Elle était alors dévouée tout entière aux beaux-arts, dont les charmes faisaient oublier les temps criminels de son premier mariage. Ses mœurs, changées par la culture de l’esprit, devaient la défendre de la cruauté tragique qui finit ses jours.

Les beaux-arts, qui se tiennent comme par la main, et qui d’ordinaire périssent et renaissent ensemble, sortaient en Italie des ruines de la barbarie. Cimabué, sans aucun secours, était comme un nouvel inventeur de la peinture au xiiie siècle. Le Giotto fit des tableaux qu’on voit encore avec plaisir. Il reste surtout de lui cette fameuse peinture qu’on a mise en mosaïque, et qui représente le premier apôtre marchant sur les eaux ; on la voit au-dessus de la grande porte de Saint-Pierre de Rome. Brunelleschi commença à réformer l’architecture gothique. Gui d’Arezzo, longtemps auparavant, avait inventé les nouvelles notes de la musique à la fin du xie siècle, et rendu cet art plus facile et plus commun.

On fut redevable de toutes ces belles nouveautés aux Toscans. Ils tirent tout renaître par leur seul génie, avant que le peu de science qui était resté à Constantinople refluât en Italie avec la