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DE LA FRANCE SOUS LOUIS XIII.

Elle fut à la tête du conseil dès que le favori eut expiré. Cette princesse, pour mieux affermir son autorité renaissante, voulait faire entrer dans le conseil le cardinal de Richelieu, son favori, son surintendant, et qui lui devait la pourpre. Elle comptait gouverner par lui, et ne cessait de presser le roi de l’admettre dans le ministère. Presque tous les Mémoires de ce temps-là font connaître la répugnance du roi. Il traitait de fourbe celui en qui il mit depuis toute sa confiance : il lui reprochait jusqu’à ses mœurs.

Ce prince, dévot, scrupuleux, et soupçonneux, avait plus que de l’aversion pour les galanteries du cardinal ; elles étaient éclatantes, et même accompagnées de ridicule. Il s’habillait en cavalier ; et, après avoir écrit sur la théologie, il faisait l’amour en plumet. Les Mémoires de Retz confirment qu’il mêlait encore de la pédanterie à ce ridicule. Vous n’avez pas besoin de ce témoignage du cardinal de Retz, puisque vous avez les thèses d’amour que Richelieu fit soutenir chez sa nièce, dans la forme des thèses de théologie qu’on soutient sur les bancs de Sorbonne. Les Mémoires du temps disent encore qu’il porta l’audace de ses désirs, ou vrais, ou affectés, jusqu’à la reine régnante, Anne d’Autriche, et qu’il en essuya des railleries qu’il ne pardonna jamais. Je vous remets sous les yeux ces anecdotes qui ont influé sur les grands événements. Premièrement, elles font voir que, dans ce cardinal si célèbre, le ridicule de l’homme galant n’ôta rien à la grandeur de l’homme d’État, et que les petitesses de la vie privée peuvent s’allier avec l’héroïsme de la vie publique. En second lieu, elles sont une espèce de démonstration, parmi bien d’autres, que le Testament politique qu’on a publié sous son nom ne peut avoir été fabriqué par lui. Il n’était pas possible que le cardinal de Richelieu, trop connu de Louis XIII par ses intrigues galantes, et que l’amant public de Marion Delorme eût eu le front de recommander la chasteté au chaste Louis XIII, âgé de quarante ans, et accablé de maladies.

La répugnance du roi était si forte qu’il fallut encore que la reine gagnât le surintendant La Vieuville, qui était alors le ministre le plus accrédité, et à qui ce nouveau compétiteur donnait plus d’ombrage encore qu’il n’inspirait d’aversion à Louis XIII.

(29 avril 1624) L’archevêque de Toulouse, Montchal, rapporte que le cardinal jura sur l’hostie une amitié et une fidélité inviolable au surintendant La Vieuville. Il eut donc enfin part au ministère, malgré le roi et malgré les ministres ; mais il n’eut ni