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CHAPITRE CLXXV.

avec ses deux frères parmi les gentilshommes ordinaires du roi attachés à son éducation, s’était introduit dans la familiarité du jeune monarque en dressant des pies-grièches à prendre des moineaux. On ne s’attendait pas que ces amusements d’enfance dussent finir par une révolution sanglante. Le maréchal d’Ancre lui avait fait donner le gouvernement d’Amboise, et croyait l’avoir mis dans sa dépendance : ce jeune homme conçut le dessein de faire tuer son bienfaiteur, d’exiler la reine, et de gouverner ; et il en vint à bout sans aucun obstacle. Il persuade bientôt au roi qu’il est capable de régner par lui-même, quoiqu’il n’ait que seize ans et demi ; il lui dit que la reine sa mère et Concini le tiennent en tutelle. Le jeune roi, à qui on avait donné dans son enfance le surnom de Juste, consent à l’assassinat de son premier ministre. Le marquis de Vitry, capitaine des gardes, du Hallier, son frère, Persan, et d’autres, l’assassinent à coups de pistolet dans la cour même du Louvre (1617). On crie vive le roi comme si on avait gagné une bataille. Louis XIII se met à la fenêtre, et dit : Je suis maintenant roi. On ôte à la reine mère ses gardes ; on les désarme : on la tient en prison dans son appartement ; elle est enfin exilée à Blois. La place de maréchal de France qu’avait Concini est donnée à Vitry, qui l’avait tué. La reine avait récompensé du même honneur Thémines, pour avoir arrêté le prince de Condé : aussi le maréchal duc de Bouillon disait qu’il rougissait d’être maréchal depuis que cette dignité était la récompense du métier de sergent et de celui d’assassin.

La populace, toujours extrême, toujours barbare, quand on lui lâche la bride, va déterrer le corps de Concini, inhumé à Saint-Germain l’Auxerrois, le traîne dans les rues, lui arrache le cœur; et il se trouva des hommes assez brutaux pour le griller publiquement sur des charbons, et pour le manger. Son corps fut enfin pendu par le peuple à une potence. Il y avait dans la nation un esprit de férocité que les belles années de Henri IV et le goût des arts apporté par Marie de Médicis avaient adouci quelque temps ; mais qui à la moindre occasion reparaissait dans toute sa force. Le peuple ne traitait ainsi les restes sanglants du maréchal d’Ancre que parce qu’il était étranger, et qu’il avait été puissant.

L’histoire du célèbre Nani, les Mémoires du maréchal d’Estrées, du comte de Brienne, rendent justice au mérite de Concini et à son innocence : témoignages qui servent au moins à éclairer les vivants, s’ils ne peuvent rien pour ceux qui sont morts injustement d’une manière si cruelle.

Cet emportement de haine n’était pas seulement dans le peuple ;