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DE HENRI IV.

des soldats qui disaient que si le roi voulait faire la guerre contre le saint-père, ils l’y assisteraient et mourraient pour cela ; à laquelle raison s’est laissé aller à la tentation qui l’a porté de tuer le roi, parce que faisant la guerre contre le pape, c’est la faire contre Dieu, d’autant que le pape est Dieu, et Dieu est le pape. » Ainsi tout concourt à faire voir que Henri IV n’a été en effet assassiné que par les préjugés qui depuis si longtemps ont aveuglé les hommes et désolé la terre. On osa imputer ce crime à la maison d’Autriche, à Marie de Médicis, épouse du roi, à Balzac d’Entragues, sa maîtresse, au duc d’Épernon : conjectures odieuses, que Mézerai et d’autres ont recueillies sans examen, qui se détruisent l’une par l’autre, et qui ne servent qu’à faire voir combien la malignité humaine est crédule.

Il est très-avéré qu’on parlait de sa mort prochaine dans les Pays-Bas avant le coup de l’assassin. Il n’est pas étonnant que les partisans de la Ligue catholique, en voyant l’armée formidable qu’il allait commander, eussent dit qu’il n’y avait que la mort de Henri qui pût les sauver. Eux et les restes de la Ligue souhaitaient quelque Clément, quelque Gérard, quelque Châtel. On passa aisément du désir à l’espérance : ces bruits se répandirent ; ils allèrent aux oreilles de Ravaillac, et le déterminèrent.

Il est encore certain qu’on avait prédit à Henri qu’il mourrait en carrosse. Cette idée venait de ce que ce prince, si intrépide ailleurs, était toujours inquiété de la crainte de verser quand il était en voiture. Cette faiblesse fut regardée par les astrologues comme un pressentiment, et l’aventure la moins vraisemblable justifia ce qu’ils avaient dit au hasard.

Ravaillac ne fut que l’instrument aveugle de l’esprit du temps, qui n’était pas moins aveugle. Ce Barrière, ce Châtel, ce chartreux nommé Ouin, ce vicaire de Saint-Nicolas des Champs, pendu en 1595 ; enfin, jusqu’à un malheureux qui était ou qui contrefaisait l’insensé, d’autres dont le nom m’échappe, méditèrent le même assassinat, presque tous jeunes et tous de la lie du peuple : tant la religion devient fureur dans la populace et dans la jeunesse ! De tous les assassins de cette espèce que ce siècle affreux produisit, il n’y eut que Poltrot de Méré qui fût gentilhomme.[1] J’en excepte ceux qui avaient tué le duc de Guise, par ordre de Henri III : ceux-là n’étaient pas fanatiques ; ils n’étaient que de lâches mercenaires.

Il n’est que trop vrai que Henri IV ne fut ni connu ni aimé

  1. Tout ce qui suit a été ajouté dans l’édition in-4o de 1769.