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CHAPITRE CLXXIV.

du jésuite Guignard, les emportements du nommé Hay, autre jésuite, la confession de Jean Châtel, les écrits de Tollet, de Bellarmin, de Mariana, d’Emmanuel Sa, de Suarès, de Salmeron, de Molina, les lettres des jésuites de Naples, et tant d’autres écrits dans lesquels on trouve cette doctrine du régicide. Il est très-vrai qu’aucun jésuite n’avait conseillé Châtel ; mais aussi il est très-vrai que, tandis qu’il étudiait chez eux, il avait entendu cette doctrine, qui alors était trop commune. Il est encore très-vrai que les jésuites se souvenaient que le jésuite Guignard avait été pendu et brûlé ; mais il est très-faux qu’ils le pardonnassent.

Comment peut-on trouver trop injuste, dans de pareils temps, le banissement des jésuites, quand on ne se plaint pas de celui du père et de la mère de Jean Châtel, qui n’avaient d’autre crime que d’avoir mis au monde un malheureux dont on aliéna l’esprit ? Ces parents infortunés furent condamnés au bannissement et à une amende ; on démolit leur maison, et on éleva à la place une pyramide où l’on grava le crime et l’arrêt ; il y était dit : « La cour a banni en outre cette société d’un genre nouveau et d’une superstition diabolique, qui a porté Jean Châtel à cet horrible parricide. » Ce qui est encore bien digne de remarque, c’est que l’arrêt du parlement fut mis à l’Index de Rome. Tout cela démontre que ces temps étaient ceux du fanatisme ; que si les jésuites avaient, comme les autres, enseigné des maximes affreuses, ils paraissaient plus dangereux que les autres, parce qu’ils élevaient la jeunesse ; qu’ils furent punis pour des fautes passées, qui, trois ans auparavant, n’étaient pas regardées dans Paris comme des fautes, et qu’enfin le malheur des temps rendit cet arrêt du parlement nécessaire.

Il l’était tellement qu’on vit paraître alors une apologie pour Jean Châtel, dans laquelle il est dit que « son parricide est un acte vertueux, généreux, héroïque, comparable aux plus grands de l’histoire sacrée et profane, et qu’il faut être athée pour en douter. Il n’y a, dit cette apologie, qu’un point à redire, c’est que Châtel n’a pas mis à chef son entreprise, pour envoyer le méchant en son lieu, comme Judas. »

Cette apologie fait voir clairement que si Guignard ne voulut jamais demander pardon au roi, c’est qu’il ne le reconnaissait pas pour roi. « La constance de ce saint homme, dit l’auteur, ne voulut jamais reconnaître celui que l’Église ne reconnaissait pas ; et, quoique les juges aient brûlé son corps, et jeté ses cendres au vent, son sang ne laissera de bouillonner contre ces meurtriers devant le dieu Sabaoth, qui saura le leur rendre. »