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DE HENRI IV.

sentations de démons, de tourments, et de flammes, éclairés d’une lueur sombre : une imagination sensible et faible en était souvent frappée jusqu’à la démence. Cette démence fut au point dans la tête de ce malheureux qu’il crut qu’il se rachèterait de l’enfer en assassinant son souverain : tant la fureur religieuse troublait encore les têtes ! tant le fanastisme inspirait une férocité absurde !

Il est indubitable que les juges auraient manqué à leur devoir s’ils n’avaient pas fait examiner les papiers des jésuites, surtout après que Jean Châtel eut avoué qu’il avait souvent entendu dire, chez quelques-uns de ces religieux, qu’il était permis de tuer le roi.

On trouva dans les écrits du professeur Guignard ces propres paroles, de sa main, que « ni Henri III, ni Henri IV, ni la reine Élisabeth, ni le roi de Suède, ni l’électeur de Saxe, n’étaient point de véritables rois ; que Henri III était un Sardanapale, le Béarnais un renard, Élisabeth une louve, le roi de Suède un griffon, et l’électeur de Saxe un porc ». Cela s’appelait de l’éloquence. « Jacques Clément, disait-il, a fait un acte héroïque, inspiré par le Saint-Esprit : si on peut guerroyer le Béarnais, qu’on le guerroie ; si on ne peut le guerroyer, qu’on l’assassine. »

Guignard était bien imprudent de n’avoir pas brûlé cet écrit dans le moment qu’il apprit l’attentat de Châtel. On se saisit de sa personne, et de celle de Guéret, professeur d’une science absurde qu’on nommait philosophie, et dont Châtel avait été longtemps l’écolier. Guignard fut pendu et brûlé, et Guéret, n’ayant rien avoué à la question, fut seulement condamné à être banni du royaume avec tous les frères nommés jésuites.

Il faut que le préjugé mette sur les yeux un bandeau bien épais puisque le jésuite Jouvency, dans son Histoire de la compagnie de Jésus, compare Guignard et Guéret aux premiers chrétiens persécutés par Néron. Il loue surtout Guignard de n’avoir jamais voulu demander pardon au roi et à la justice, lorsqu’il fit amende honorable, la torche au poing, ayant au dos ses écrits. Il fait envisager Guignard comme un martyr qui demande pardon à Dieu, parce qu’après tout il pouvait être pécheur ; mais qui ne peut, malgré sa conscience, avouer qu’il a offensé le roi. Comment aurait-il donc pu l’offenser davantage qu’en écrivant qu’il fallait le tuer, à moins qu’il ne l’eût tué lui-même ? Jouvency regarde l’arrêt du parlement comme un jugement très-inique : « Meminimus, dit-il, et ignoscimus ; nous nous en souvenons, et nous le pardonnons. » Il est vrai que l’arrêt était sévère ; mais assurément il ne peut paraître injuste, si on considère les écrits