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CHAPITRE CLXXIV.

quand la déprédation générale força Henri IV à donner l’administration entière des finances au duc de Sully, ce ministre, aussi éclairé qu’intègre, trouva qu’en 1596 on levait cent cinquante millions sur le peuple pour en faire entrer environ trente dans le trésor royal.

Si Henri IV n’avait été que le plus brave prince de son temps, le plus clément, le plus droit, le plus honnête homme, son royaume était ruiné : il fallait un prince qui sût faire la guerre et la paix, connaître toutes les blessures de son État, et y apporter les remèdes ; veiller sur les grandes et les petites choses, tout réformer et tout faire : c’est ce qu’on trouva dans Henri. Il joignit l’administration de Charles le Sage à la valeur et à la franchise de François Ier, et à la bonté de Louis XII.

Pour subvenir à tant de besoins, pour faire à la fois tant de traités et tant de guerres, Henri convoqua dans Rouen une assemblée des notables du royaume : c’était une espèce d’états généraux. Les paroles qu’il y prononça sont encore dans la mémoire des bons citoyens qui savent l’histoire de leur pays : « Déjà par la faveur du ciel, par les conseils de mes bons serviteurs, et par l’épée de ma brave noblesse, dont je ne distingue point mes princes, la qualité de gentilhomme étant notre plus beau titre, j’ai tiré cet État de la servitude et de la ruine. Je veux lui rendre sa force et sa splendeur ; participez à cette seconde gloire, comme vous avez eu part à la première. Je ne vous ai point appelés, comme faisaient mes prédécesseurs, pour vous obliger d’approuver aveuglément mes volontés, mais pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour les suivre, pour me mettre en tutelle entre vos mains. C’est une envie qui ne prend guère aux rois, aux victorieux, et aux barbes grises ; mais l’amour que je porte à mes sujets me rend tout possible et tout honorable. » Cette éloquence du cœur, dans un héros, est bien au-dessus de toutes les harangues de l’antiquité.

(Mars 1597) Au milieu de ces travaux et de ces dangers continuels, les Espagnols surprennent Amiens, dont les bourgeois avaient voulu se garder eux-mêmes. Ce funeste privilége qu’ils avaient, et dont ils se prévalurent si mal, ne servit qu’à faire piller leur ville, à exposer la Picardie entière, et à ranimer encore les efforts de ceux qui voulaient démembrer la France. Henri, dans ce nouveau malheur, manquait d’argent et était malade. Cependant il assemble quelques troupes, il marche sur la frontière de la Picardie, il revole à Paris, écrit de sa main aux parlements, aux communautés, « pour obtenir de quoi nourrir ceux qui défendaient