Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
CHAPITRE LXXIX.

siblement, et y régna sans contradiction, tandis que Charles VI était enfermé avec ses domestiques à l’hôtel de Saint-Paul, et que la reine Isabelle de Bavière commençait déjà à se repentir.

(1420) Philippe, duc de Bourgogne, fit demander solennellement justice du meurtre de son père aux deux rois, à l’hôtel de Saint-Paul, dans une assemblée de tout ce qui restait de grands. Le procureur général de Bourgogne, Nicolas Bollin, un docteur de l’université, nommé Jean Larcher, accusent le dauphin. Le premier président du parlement de Paris et quelques députés de son corps assistaient à cette assemblée. L’avocat général Marigny prend des conclusions contre l’héritier et le défenseur de la couronne, comme s’il parlait contre un assassin ordinaire. Le parlement fait citer le dauphin à ce qu’on appelle la table de marbre. C’était une grande table qui servait du temps de saint Louis à recevoir les redevances en nature des vassaux de la Tour du Louvre, et qui resta depuis comme une marque de juridiction. Le dauphin y fut condamné par contumace. En vain le président Hénault, qui n’avait pas le courage du président de Thou, a voulu déguiser ce fait : il n’est que trop avéré[1].

C’était une de ces questions délicates et difficiles à résoudre, de savoir par qui le dauphin devait être jugé, si on pouvait détruire la loi salique, si, le meurtre du duc d’Orléans n’ayant point été vengé, l’assassinat du meurtrier devait l’être. On a vu longtemps après en Espagne Philippe II faire périr son fils. Cosme Ier, duc de Florence, tua l’un de ses enfants qui avait assassiné l’autre. Ce fait est très-vrai : on a contesté très-mal à propos à Varillas cette aventure ; le président de Thou fait assez entendre qu’il en fut informé sur les lieux. Le czar Pierre a fait de nos jours condamner son fils à la mort ; exemples affreux, dans lesquels il ne s’agissait pas de donner l’héritage du fils à un étranger !

Voilà donc la loi salique abolie, l’héritier du trône déshérité et proscrit, le gendre régnant paisiblement, et enlevant l’héritage de son beau-frère, comme depuis on vit en Angleterre Guillaume, prince d’Orange, étranger, déposéder le père de sa femme. Si cette révolution avait duré comme tant d’autres, si les successeurs de Henri V avaient soutenu l’édifice élevé par leur père, s’ils étaient aujourd’hui rois de France, y aurait-il un seul historien qui ne trouvât leur cause juste ? Mézerai n’eût point dit en

  1. L’archevêque de Reims, des Ursins, l’avoue dans son histoire. Voyez le chapitre vi de l’Histoire du Parlement de Paris. (Note de Voltaire.) — Voyez aussi une note du chant Ier de la Pucelle, tome IX, page 30.