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CHAPITRE CLXXIII.

Condé, évadé de prison, avait abjuré l’Église romaine à Strasbourg ; et, réfugié dans le Palatinat, il ménageait, chez les Allemands, des secours pour son parti, à l’exemple de son père.

Henri III, en revenant en France, pouvait la rétablir ; elle était sanglante, déchirée, mais non démembrée. Pignerol, le marquisat de Saluces, et par conséquent les portes de l’Italie, étaient encore à elle. Une administration tolérable peut guérir, en peu d’années, les plaies d’un royaume dont le terrain est fertile et les habitants industrieux. Henri de Navarre était toujours entre les mains de la reine mère, déclarée régente par Charles IX jusqu’au retour du nouveau roi. Les protestants ne demandaient que la sûreté de leurs biens et de leur religion ; et leur projet de former une république ne pouvait prévaloir contre l’autorité souveraine, déployée sans faiblesse et sans excès. Il eût été aisé de les contenir : tel avait toujours été l’avis des plus sages têtes, d’un chancelier de L’Hospital, d’un Paul de Foix, d’un Christophe de Thou, père du véridique et éloquent historien, d’un Pibrac, d’un Harlai ; mais les favoris, croyant gagner à la guerre, la firent résoudre.

À peine donc le roi fut à Lyon qu’avec le peu de troupes qu’on lui avait amenées il voulut forcer des villes, qu’il eût pu ranger à leur devoir avec un peu de politique. Il dut s’apercevoir, quand il voulut entrer à main armée dans une petite ville nommée Livron[1] qu’il n’avait pas pris le bon parti ; on lui cria du haut des murs : « Approchez, assassins ; venez, massacreurs, vous ne nous trouverez pas endormis comme l’amiral[2]. »

Il n’avait pas alors de quoi payer ses soldats ; ils se débandèrent ; et, trop heureux de n’être point attaqué dans son chemin, il alla se faire sacrer à Reims, et faire son entrée dans Paris sous ces tristes auspices, au milieu de la guerre civile qu’il avait fait renaître à son arrivée, et qu’il eût pu étouffer. Il ne sut ni contenir les huguenots, ni contenter les catholiques, ni réprimer son frère le duc d’Alençon, alors duc d’Anjou, ni gouverner ses finances, ni discipliner une armée : il voulait être absolu, et ne

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1763, les Éclaircissements historiques (xxixe sottise de Nonotte).
  2. Il paraît, d’après les mémoires du temps, que la voix publique accusait Henri III d’avoir aidé sa mère à vaincre la résistance que Charles IX opposait au massacre de la Saint-Barthélemy. Les remords de ce malheureux prince, sa mort extraordinaire, avaient rejeté toute la haine de ce forfait sur Catherine et sur Henri III, d’ailleurs avili par sa superstition et par ses mœurs.

    Dans son passage en Dauphiné, Montbrun pilla les équipages de sa petite armée ; et lorsqu’on lui reprocha cette action, il répondit : « La guerre et le jeu rendent les hommes égaux. » (K.)