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CHAPITRE CLXXI.

paix forcée (1568) ; mais chaque paix est une guerre sourde, et tous les jours sont marqués par des meurtres et par des assassinats.

Bientôt la guerre se fait ouvertement. C’est alors que la Rochelle devint le centre et le principal siége du parti réformé, la Genève de la France. Cette ville, assez avantageusement située sur le bord de la mer pour devenir une république florissante, l’était déjà à plusieurs égards : car, ayant appartenu au roi d’Angleterre depuis le mariage d’Éléonore de Guienne avec Henri II, elle s’était donnée au roi de France Charles V à condition qu’elle aurait droit de battre en son propre nom de la monnaie d’argent, et que ses maires et ses échevins seraient réputés nobles ; beaucoup d’autres priviléges, et un commerce assez étendu, la rendaient assez puissante, et elle le fut jusqu’au temps du cardinal de Richelieu. La reine Élisabeth la favorisait ; elle dominait alors sur l’Aunis, la Saintonge, et l’Angoumois, où se donna la célèbre bataille de Jarnac.

Le duc d’Anjou, depuis Henri III, à la tête de l’armée royale, avait le nom de général ; le maréchal de Tavannes l’était en effet : il fut vainqueur (13 mars 1569). Le prince Louis de Condé fut tué, ou plutôt assassiné, après sa défaite, par Montesquieu, capitaine des gardes du duc d’Anjou. Coligny, qu’on nomme toujours l’amiral, quoiqu’il ne le fût plus, rassembla les débris de l’armée vaincue, et rendit la victoire des royalistes inutile. La reine de Navarre, Jeanne d’Albret, veuve du faible Antoine, présenta son fils à l’armée, le fit reconnaître chef du parti ; de sorte que Henri IV, le meilleur des rois de France, fut, ainsi que le bon roi Louis XII, rebelle avant que de régner[1]. L’amiral Coligny fut le chef véritable et du parti et de l’armée, et servit de père à Henri IV et aux princes de la maison de Condé. Il soutint seul le poids de cette cause malheureuse, manquant d’argent, et cepen-

  1. Il fut le chef et l’allié des rebelles de France, car un roi de Navarre, souverain d’un royaume indépendant de la France, même féodalement, n’était pas plus un rebelle en faisant la guerre à Charles que Philippe II, souverain de l’Artois et de la Flandre, et en cette qualité vassal de la couronne. Il faut observer aussi que Louis XII ne fit la guerre que pour soutenir ses prérogatives et ses projets d’ambition, au lieu que Henri IV défendait les lois de la nation et les droits des citoyens. Les moyens qu’il employait pouvaient être illégitimes, mais c’était en faveur d’une cause juste qu’il les employait. Ni les catholiques ni les protestants n’avaient certainement le droit de faire la guerre civile ; mais les protestants ne la firent jamais que pour soutenir la liberté de conscience, ce droit légitime de tous les hommes ; et les catholiques ne la faisaient au contraire que pour maintenir une intolérance tyrannique. (K.)