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DE LA REINE MARIE STUART.

au mariage de la reine, et ne servit pas moins ensuite à l’en dégoûter. Darnley, qui n’avait que le nom de roi, méprisé de sa femme, aigri, et jaloux, entre par un escalier dérobé, suivi de quelques hommes armés, dans la chambre de sa femme, où elle soupait avec Rizzio et une de ses favorites : on renverse la table, et on tue Rizzio aux yeux de la reine, qui se met en vain au devant de lui. Elle était enceinte de cinq mois : la vue des épées nues et sanglantes fit sur elle une impression qui passa jusqu’au fruit qu’elle portait dans son flanc. Son fils Jacques VI, roi d’Écosse et d’Angleterre, qui naquit quatre mois après cette aventure, trembla toute sa vie à la vue d’une épée nue, quelque effort qu’il fit pour surmonter cette disposition de ses organes : tant la nature a de force, et tant elle agit par des voies inconnues[1] !

La reine reprit bientôt son autorité, se raccommoda avec le comte de Murray, poursuivit les meurtriers du musicien, et prit un nouvel engagement avec un comte de Bothwell. Ces nouvelles amours produisirent la mort du roi son époux (1567) : on prétend qu’il fut d’abord empoisonné, et que son tempérament eut la force de résister au poison ; mais il est certain qu’il fut assassiné à Édimbourg dans une maison isolée, dont la reine avait retiré ses plus précieux meubles. Dès que le coup fut fait, on fit sauter la maison avec de la poudre ; on enterra son corps auprès de celui de Rizzio dans le tombeau de la maison royale. Tous les ordres de l’État, tout le peuple, accusèrent Bothwell de l’assassinat ; et dans le temps même que la voix publique criait vengeance, Marie se fit enlever par cet assassin, qui avait encore les mains teintes du sang de son mari, et l’épousa publiquement. Ce qu’il y eut de singulier dans cette horreur, c’est que Bothwell avait alors une femme, et que, pour se séparer d’elle, il la força de l’accuser d’adultère, et fit prononcer un divorce par l’archevêque de Saint-André selon les usages du pays.

Bothwell eut toute l’insolence qui suit les grands crimes. Il assembla les principaux seigneurs, et leur fit signer un écrit, par

  1. L’opinion que l’imagination des mères influe sur le fœtus a été longtemps admise presque généralement ; les philosophes même se croyaient obligés de l’expliquer. L’impossibilité de cette influence n’est pas sans doute rigoureusement prouvée, mais c’est tout ce qu’on peut accorder ; et pour établir une opinion de ce genre, il faudrait une suite de faits bien constatés quant à leur existence, et tels qu’ils ne puissent être attribués au hasard ; et c’est ce qu’on est bien éloigné d’avoir. Les exemples qu’on cite sont bien plus propres à montrer le pouvoir de l’imagination sur nos jugements, sur notre manière de voir, qu’à prouver le pouvoir de celle de la mère sur le fœtus. (K.)