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CHAPITRE CLXVIII.

sabeth dissipe ce premier orage ; elle envoie une armée au secours des protestants d’Écosse, et force la régente d’Écosse, mère de Marie Stuart, à recevoir la loi par un traité, et à renvoyer les troupes de France dans vingt jours.

François II meurt : elle oblige Marie Stuart, sa veuve, à renoncer au titre de reine d’Angleterre. Ses intrigues encouragent les états d’Édimbourg à établir la réforme en Écosse ; par là elle s’attache un pays dont elle avait tout à craindre.

À peine est-elle libre de ces inquiétudes que Philippe II lui donne de plus grandes alarmes. Philippe était indispensablement dans ses intérêts quand Marie Stuart, héritière d’Élisabeth, pouvait espérer de réunir sur une même tête les couronnes de France, d’Angleterre et d’Écosse. Mais François II étant mort, et sa veuve retournée en Écosse sans appui, Philippe, n’ayant que les protestants à craindre, devint l’implacable ennemi d’Élisabeth.

Il soulève en secret l’Irlande contre elle, et elle réprime toujours les Irlandais. Il envoie cette flotte invincible pour la détrôner, et elle la dissipe. Il soutient en France cette Ligue catholique, si funeste à la maison royale, et elle protège le parti opposé. La république de Hollande est pressée par les armes espagnoles ; elle l’empêche de succomber. Autrefois les rois d’Angleterre dépeuplaient leurs États pour se mettre en possession du trône de France ; mais les intérêts et les temps sont tellement changés qu’elle envoie des secours réitérés à Henri IV pour l’aider à conquérir son patrimoine. C’est avec ces secours que Henri assiégea enfin Paris, et que, sans le duc de Parme, ou sans son extrême indulgence pour les assiégés, il eût mis la religion protestante sur le trône. C’était ce qu’Élisabeth avait extrêmement à cœur. On aime à voir ses soins réussir, à ne point perdre le fruit de ses dépenses. La haine contre la religion catholique s’était encore fortifiée dans son cœur depuis qu’elle avait été excommuniée par Pie V et par Sixte-Quint ; ces deux papes l’avaient déclarée indigne et incapable de régner, et plus Philippe II se déclarait le protecteur de cette religion, plus Élisabeth en était l’ennemie passionnée. Il n’y eut point de ministre protestant plus affligé qu’elle quand elle apprit l’abjuration de Henri IV. Sa lettre à ce monarque est bien remarquable : « Vous m’offrez votre amitié comme à votre sœur, je sais que je l’ai méritée, et certes à un grand prix ; je ne m’en repentirais pas si vous n’aviez pas changé de père. Je ne puis plus être votre sœur de père : car j’aimerai toujours plus chèrement celui qui m’est propre que celui qui vous a adopté. » Ce billet fait voir en même temps son cœur, son esprit,