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DE LA REINE ÉLISABETH.

gleterre, il n’y eut que quatorze évêques, cinquante chanoines, et quatre-vingts curés, qui, n’acceptant pas la réforme, restèrent catholiques et perdirent leurs bénéfices. Quand on pense que la nation anglaise changea quatre fois de religion depuis Henri VIII, on s’étonne qu’un peuple si libre ait été si soumis, ou qu’un peuple qui a tant de fermeté ait eu tant d’inconstance. Les Anglais en cela ressemblèrent à ces cantons suisses qui attendirent de leurs magistrats la décision de ce qu’ils devaient croire. Un acte du parlement est tout pour les Anglais ; ils aiment la loi, et on ne peut les conduire que par les lois d’un parlement qui prononce, ou qui semble prononcer par lui-même[1].

Personne ne fut persécuté pour être catholique ; mais ceux qui voulurent troubler l’État par principe de conscience furent sévèrement punis. Les Guises, qui se servaient alors du prétexte de la religion pour établir leur pouvoir en France, ne manquèrent pas d’employer les mêmes armes pour mettre Marie Stuart, reine d’Écosse, leur nièce, sur le trône d’Angleterre. Maîtres des finances et des armées de France, ils envoyaient des troupes et de l’argent en Écosse, sous prétexte de secourir les Écossais catholiques contre les Écossais protestants, Marie Stuart, épouse de François II, roi de France, prenait hautement le titre de reine d’Angleterre, comme descendante de Henri VII. Tous les catholiques anglais, écossais, irlandais, étaient pour elle. Le trône d’Élisabeth n’était pas encore affermi ; les intrigues de la religion pouvaient le renverser. Éli-

  1. Ces mêmes Anglais, si dociles sous la maison de Tudor, firent une guerre opiniâtre à Charles Ier, par zèle de religion ; ils chassèrent Jacques II, son fils, sur le simple soupçon qu’il songeait à rétablir la religion romaine ; mais les circonstances avaient changé. Henri VIII éprouva peu de résistance, parce qu’il n’attaqua que la hiérarchie ecclésiastique, dont les abus avaient révolté tous les peuples : sous Édouard, la religion protestante devint aisément la dominante ; elle avait fait des progrès rapides sous le règne de Henri VIII, malgré les persécutions ; et Rome ne reconnaissant pour catholiques que ceux qui reconnaissaient son autorité, tous ceux qui avaient approuvé la révolution de Henri VIII se trouvèrent protestants sans le vouloir. Le règne de Marie fut court ; elle étonna la nation par des supplices, mais elle ne la changea point, et il fut aisé à Élisabeth de rétablir le protestantisme. Enfin, lorsqu’à force de disputes on eut bien établi la distinction entre les différentes croyances, lorsque les persécutions eurent forcé les dissidents à se réunir en sectes bien distinctes, tout changement de religion devint plus difficile en Angleterre qu’ailleurs ; elle n’eut la paix qu’après que la tolérance de toutes les communions chrétiennes fut bien établie ; et même, tant que les lois pénales contre les catholiques subsisteront, tant que l’entrée du parlement restera fermée aux non-conformistes, cette paix ne sera fondée que sur l’indifférence pour la religion : indifférence qui est moins grande en Angleterre que dans aucun autre pays. En 1780, les compatriotes de Locke et de Newton ont donné à l’Europe étonnée le spectacle d’un incendie allumé au nom de Dieu. (K.)