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DE LA REINE ÉLISABETH.

Elle se fit pourtant couronner par un évêque catholique, pour ne pas effaroucher d’abord les esprits. Je remarquerai qu’elle alla de Westminster à la Tour de Londres dans un char suivi de cent autres. Ce n’est pas que les carrosses fussent alors en usage, ce n’était qu’un appareil passager.

Immédiatement après elle convoqua un parlement qui établit la religion anglicane telle qu’elle est aujourd’hui, et qui donna au souverain la suprématie, les décimes, et les annates.

Élisabeth eut donc le titre de chef de la religion anglicane. Beaucoup d’auteurs, et principalement les Italiens, ont trouvé cette dignité ridicule dans une femme : mais ils pouvaient considérer que cette femme régnait ; qu’elle avait les droits attachés au trône par les lois du pays ; qu’autrefois les souverains de toutes les nations connues avaient l’intendance des choses de la religion ; que les empereurs romains furent souverains pontifes ; que si aujourd’hui dans quelques pays l’Église gouverne l’État, il y en a beaucoup d’autres où l’État gouverne l’Église. Nous avons vu en Russie quatre souveraines de suite présider au synode qui tient lieu du patriarcat absolu. Une reine d’Angleterre qui nomme un archevêque de Cantorbéry, et qui lui prescrit des lois, n’est pas plus ridicule qu’une abbesse de Fontevrault qui nomme des prieurs et des curés, et qui leur donne sa bénédiction : en un mot chaque pays à ses usages.

Tous les princes doivent se souvenir, et les évêques ne doivent pas perdre la mémoire de la fameuse lettre de la reine Élisabeth à Heaton, évêque d’Ély :


« Présomptueux Prélat,

« J’apprends que vous différez à conclure l’affaire dont vous êtes convenu : ignorez-vous donc que moi, qui vous ai élevé, je puis également vous faire rentrer dans le néant ? Remplissez au plus tôt votre engagement, ou je vous ferai descendre de votre siége.

« Votre amie, tant que vous mériterez que je le sois.

« Élisabeth. »


Si les princes et les magistrats avaient toujours pu établir un gouvernement assez ferme pour être en droit d’écrire impuné-