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DES ANGLAIS SOUS ÉDOUARD VI ET MARIE.

temps après ce même esprit de jalousie le porta à vouloir faire périr par la main du bourreau le fameux Antoine Pérès, son rival auprès de la princesse d’Éboli. Ce sont là les accusations qu’on a vues intentées contre lui par le prince d’Orange au tribunal du public. Il est bien étrange que Philippe n’y fît pas au moins répondre par les plumes vénales de son royaume, et que personne dans l’Europe ne réfutât le prince d’Orange. Ce ne sont pas là des convictions entières, mais ce sont les présomptions les plus fortes ; et l’histoire ne doit pas négliger de les rapporter comme telles, le jugement de la postérité étant le seul rempart qu’on ait contre la tyrannie heureuse.

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CHAPITRE CLXVII.


Des Anglais sous Édouard VI, Marie, et Élisabeth.


Les Anglais n’eurent ni cette brillante prospérité des Espagnols, ni cette influence dans les autres cours, ni ce vaste pouvoir qui rendait l’Espagne si dangereuse ; mais la mer et le négoce leur donnèrent une grandeur nouvelle. Ils connurent leur véritable élément, et cela seul les rendit plus heureux que toutes les possessions étrangères et les victoires de leurs anciens rois. Si ces rois avaient régné en France, l’Angleterre n’eût été qu’une province asservie. Ce peuple, qu’il fut si difficile de former, qui fut conquis si aisément par des pirates danois et saxons, et par un duc de Normandie, n’avait été, sous les Édouard III et les Henri V, que l’instrument grossier de la grandeur passagère de ces monarques ; il fut sous Élisabeth un peuple puissant, policé, industrieux, laborieux, entreprenant. Les navigations des Espagnols avaient excité leur émulation ; ils cherchèrent dans trois voyages consécutifs un passage au Japon et à la Chine par le nord, Drake et Candish firent le tour du globe, en attaquant partout ces mêmes Espagnols qui s’étendaient aux deux bouts du monde. Des sociétés qui n’avaient d’appui qu’elles-mêmes trafiquèrent avec un grand avantage sur les côtes de la Guinée. Le célèbre chevalier Raleigh, sans aucun secours du gouvernement, jeta et affermit les fondements des colonies anglaises dans l’Amérique septentrionale en