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CHAPITRE CLXVI.

(1584) Une ambassade de quatre rois du Japon sembla mettre alors le comble à cette grandeur suprême qui le faisait regarder comme le premier monarque de l’Europe. La religion chrétienne faisait au Japon de grands progrès ; et les Espagnols pouvaient se flatter d’y établir leur puissance, comme leur religion.

Philippe avait dans la chrétienté le pape, suzerain de son royaume de Naples, à ménager; la France à tenir toujours divisée, en quoi il réussissait par le moyen de la Ligue et par ses trésors ; la Hollande à réduire, et surtout l’Angleterre à troubler. Il faisait mouvoir à la fois tous ces ressorts ; et il parut bientôt, par l’armement de sa flotte nommée l’Invincible, que son but était de conquérir l’Angleterre plutôt que de l’inquiéter.

La reine Élisabeth lui fournissait assez de raisons ; elle soutenait hautement les confédérés des Pays-Bas. François Drake, alors simple armateur, avait pillé plusieurs possessions espagnoles dans l’Amérique, traversé le détroit de Magellan, et était revenu à Londres, en 1580, chargé de dépouilles, après avoir fait le tour du monde. Un prétexte plus considérable que ces raisons était la captivité de Marie Stuart, reine d’Écosse, retenue depuis dix-huit ans prisonnière contre le droit des gens. Elle avait pour elle tous les catholiques de l’île. Elle avait un droit très-apparent sur l’Angleterre, droit qu’elle tirait de Henri VII, par une naissance dont la légitimité n’était pas contestée comme celle d’Élisabeth. Philippe pouvait faire valoir pour lui-même le vain titre de roi d’Angleterre qu’il avait porté, et enfin l’entreprise de délivrer la reine Marie mettait nécessairement le pape et tous les catholiques de l’Europe dans ses intérêts.

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CHAPITRE CLXVI.


De l’invasion de l’Angleterre, projetée par Philippe II en France. Examen de la mort de don Carlos.


Dans ce dessein, Philippe prépare cette flotte prodigieuse qui devait être secondée par un autre armement en Flandre, et par la révolte des catholiques en Angleterre. Ce fut ce qui perdit la