Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/485

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
475
DE PHILIPPE II, ROI DE PORTUGAL.

Sébastien débarque avec près de huit cents bâtiments au royaume de Fez, dans la ville d’Arzilla, conquête de ses ancêtres. Son armée était de quinze mille hommes d’infanterie ; mais il n’avait pas mille chevaux. C’est apparemment ce petit nombre de cavalerie, si peu proportionné à la cavalerie formidable des Maures, qui l’a fait condamner comme un téméraire par tous les historiens ; mais que de louanges s’il avait été heureux ! Il fut vaincu par le vieux souverain de Maroc, Molucco (4 auguste 1578). Trois rois périrent dans cette bataille, les deux rois maures, l’oncle et le neveu, et Sébastien. La mort du vieux roi Molucco est une des plus belles dont l’histoire fasse mention. Il était languissant d’une grande maladie ; il se sentit affaibli au milieu de la bataille, donna tranquillement ses derniers ordres, et expira en mettant le doigt sur sa bouche, pour faire entendre à ses capitaines qu’il ne fallait pas que ses soldats sussent sa mort. On ne peut faire une si grande chose avec plus de simplicité. Il ne revint personne de l’armée vaincue. Cette journée extraordinaire eut une suite qui ne le fut pas moins : on vit pour la première fois un prêtre cardinal et roi ; c’était don Henri, âgé de soixante et dix ans, fils du grand Emmanuel, grand-oncle de Sébastien. Il eut de plein droit le Portugal.

Philippe se prépara dès lors à lui succéder ; et pour que tout fût singulier dans cette affaire, le pape Grégoire XIII se mit au nombre des concurrents, et prétendit que le royaume de Portugal appartenait au saint-siége, faute d’héritiers en ligne directe ; par la raison, disait-il, qu’Alexandre III avait autrefois créé roi le comte Alfonse, qui s’était reconnu feudataire de Rome : c’était une étrange raison. Ce pape Grégoire XIII, Buoncompagno, avait le dessein ou plutôt l’idée vague de donner un royaume à Buoncompagno, son bâtard, en faveur duquel il ne voulait pas démembrer l’État ecclésiastique, comme avaient fait plusieurs de ses prédécesseurs. Il avait d’abord espéré que son fils aurait le royaume d’Irlande, parce que Philippe II fomentait des troubles dans cette île, ainsi qu’Élisabeth attisait le feu allumé dans les Pays-Bas. L’Irlande, ayant encore été donnée par les papes, devait revenir à eux ou à leurs enfants quand la souveraine d’Irlande était excommuniée. Cette idée ne réussit pas. Le pape obtint, à la vérité, de Philippe quelques vaisseaux et quelques Espagnols qui abordèrent en Irlande avec des Italiens, sous le pavillon du saint-siége ; mais ils furent passés au fil de l’épée, et les Irlandais de leur parti périrent par la corde. Grégoire XIII, après cette entreprise si extravagante et si malheureuse, tourna ses vues du