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CHAPITRE CLXIII.

Navarre, mère de Henri IV, avec son fils encore enfant, la mettre comme hérétique entre les mains de l’Inquisition, la faire brûler et se saisir du Béarn, en vertu de la confiscation que ce tribunal d’assassins aurait prononcée. On voit une partie de ce projet au trente-sixième livre du président de Thou, et cette anecdote importante a trop été négligée par les historiens suivants[1].

Qu’on mette en opposition à cette conduite le soin de faire rendre la justice en Espagne, soin qui ne coûte que la peine de vouloir, et qui affermit l’autorité ; une activité de cabinet, un travail assidu aux affaires générales, la surveillance continuelle sur ses ministres, toujours accompagnée de défiance ; l’attention de voir tout par soi-même autant que le peut un roi ; l’application suivie à entretenir le trouble chez ses voisins, et à maintenir l’Espagne en paix ; des yeux toujours ouverts sur une grande partie du globe, depuis le Mexique jusqu’au fond de la Sicile ; un front toujours composé et toujours sévère au milieu des chagrins de la politique et du trouble des passions : alors on pourra se former un portrait de Philippe II.

Mais il faut voir quel ascendant il avait dans l’Europe. Il était maître de l’Espagne, du Milanais, des Deux-Siciles, de tous les Pays-Bas ; ses ports étaient garnis de vaisseaux ; son père lui avait laissé les troupes de l’Europe les mieux disciplinées et les plus fières, commandées par les compagnons de ses victoires. Sa seconde femme, Marie, reine d’Angleterre, ne se gouvernant que par ses inspirations, faisait brûler les protestants, et déclarait la guerre à la France sur une lettre de Philippe. Il pouvait compter l’Angleterre parmi ses royaumes. Les moissons d’or et d’argent qui lui venaient du nouveau monde le rendaient plus puissant que Charles-Quint, qui n’en avait eu que les prémices.

L’Italie tremblait d’être asservie. C’est ce qui détermina le pape Paul IV, Caraffa, né sujet d’Espagne, à se jeter du côté de la France, comme Clément VII. Il voulut, ainsi que tous ses prédécesseurs, établir une balance que leurs mains trop faibles ne

  1. On trouve un récit détaillé de cette anecdote dans une des pièces des Mémoires de Villeroi. Il paraît que la malheureuse femme de Philippe II servit à la découverte du projet. Cette action de justice et de générosité fut peut-être une des causes de sa mort précipitée. Le duc d’Albe et les princes de la maison de Guise étaient les chefs de l’entreprise. Leur agent, qui se trouvait à Paris, se sauva. Lorsque Charles IX raconta cette conspiration, dont il venait d’être instruit, au vieux connétable, et qu’il lui dit qu’il en avait instruit le secrétaire d’État L’Aubespine : « En ce cas, répondit Montmorency, le traître ne sera pas arrêté. » Ce mot et l’événement prouvent que Philippe avait déjà des pensionnaires dans le conseil de France. (K.)