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DE CHARLES VI, ET DE HENRI V.

le trésor de son pupille, chargeait le peuple d’exactions, Paris, Rouen, la plupart des villes se soulevèrent ; les mêmes fureurs qui ont depuis désolé Paris du temps de la Fronde, dans la jeunesse de Louis XIV, parurent sous Charles VI. Les punitions publiques et secrètes furent aussi cruelles que le soulèvement avait été orageux. Le grand schisme des papes, dont j’ai parlé[1] augmentait encore le désordre. Les papes d’Avignon, reconnus en France, achevaient de la piller par tous les artifices que l’avarice déguisée en religion peut inventer. On espérait que le roi majeur réparerait tant de maux par un gouvernement plus heureux.

(1384) Il avait vengé en personne le comte de Flandre, son vassal, des Flamands rebelles toujours soutenus par l’Angleterre. Il profita des troubles où cette île était plongée sous Richard II. On équipa même plus de douze cents vaisseaux pour faire une descente. Ce nombre ne doit pas paraître incroyable ; saint Louis en eut davantage : il est vrai que ce n’étaient que des vaisseaux de transport ; mais la facilité avec laquelle on prépara cette flotte montre qu’il y avait alors plus de bois de construction qu’aujourd’hui, et qu’on n’était pas sans industrie. La jalousie qui divisait les oncles du roi empêcha que la flotte ne fût employée. Elle ne servit qu’à faire voir quelle ressource aurait eue la France sous un bon gouvernement, puisque, malgré les trésors que le duc d’Anjou avait emportés pour sa malheureuse expédition de Naples, on pouvait faire de si grandes entreprises.

Enfin on respirait, lorsque le roi, allant en Bretagne faire la guerre au duc, dont il avait à se plaindre, fut attaqué d’une frénésie horrible. Cette maladie commençait par des assoupissements, suivis d’aliénation d’esprit, et enfin d’accès de fureur. Il tua quatre hommes dans son premier accès, continua de frapper tout ce qui était autour de lui, jusqu’à ce qu’épuisé de ces mouvements convulsifs il tomba dans une léthargie profonde.

Je ne m’étonne point que toute la France le crût empoisonné et ensorcelé. Nous avons été témoins, dans notre siècle, tout éclairé qu’il est, de préjugés populaires aussi injustes[2]. Son frère, le duc d’Orléans, avait épousé Valentine de Milan. On accuse Valentine de cet accident : ce qui prouve seulement que les Fran-

  1. Chapitre lxxi.
  2. Voltaire veut parler des soupçons d’empoisonnement qu’on avait élevés contre le duc d’Orléans, régent, et qu’il a toujours combattus ; voyez le Siècle de Louis XIV, fin du chapitre xxvii ; et dans les Mélanges (année 1768), le chapitre xvi du Pyrrhonisme de l’histoire ; voyez aussi, dans les Poésies (tome X, page 282), l’Épître sur la calomnie.