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DU ROYAUME DE FEZ ET DE MAROC.

armées, un mélange de noirs, de blancs, et de métis. Ces peuples trafiquèrent de tout temps en Guinée. Ils allaient par les déserts aux côtes où les Portugais vinrent par l’Océan. Jamais ils ne connurent la mer que comme l’élément des pirates. Enfin toute cette vaste côte de l’Afrique, depuis Damiette jusqu’au mont Atlas, était devenue barbare, tandis que plusieurs de nos peuples septentrionaux, autrefois beaucoup plus barbares, atteignaient à la politesse des Grecs et des Romains.

Il y eut des querelles de religion dans ce pays comme ailleurs ; et une secte de musulmans, qui se prétendait plus orthodoxe que les autres, disposa du trône : c’est ce qui n’est jamais arrivé à Constantinople. Il y eut aussi, comme ailleurs, des guerres civiles ; et ce n’est qu’au XVIIe siècle que tous les États de Fez, de Maroc, de Tafilet, ont été réunis, et n’ont composé qu’un empire, après la fameuse victoire que les Maures remportèrent sur le malheureux Sébastien, roi de Portugal.

Dans quelque abrutissement que ces peuples soient tombés, jamais l’Espagne et le Portugal n’ont pu se venger sur eux de leur ancien esclavage, et les asservir à leur tour. Oran, frontière de leur empire, pris par le cardinal Ximénès, perdu ensuite, et repris depuis par le duc de Montemar, sous Philippe V, en 1732, n’a pu ouvrir le chemin à d’autres conquêtes. Tanger, qui pouvait être une clef de cet empire, fut toujours inutile. Ceuta, que les Portugais prirent en 1409, que les Espagnols eurent sous Philippe II, et qu’ils ont conservé toujours, n’a été qu’un objet de dépense. Les Maures avaient accablé toute l’Espagne, et les Espagnols n’ont pu encore que harceler les Maures. Ils ont passé la mer Atlantique, et conquis un nouveau monde, sans pouvoir se venger à cinq lieues de chez eux. Les Maures, mal armés, indisciplinés, esclaves sous un gouvernement détestable, n’ont pu être subjugués par les chrétiens. La véritable raison est que les chrétiens se sont toujours mutuellement déchirés. Comment les Espagnols auraient-ils pu passer en Afrique avec de grandes armées, et dompter les musulmans, quand ils avaient la France à combattre ? ou lorsque étant unis avec la France, les Anglais leur prenaient Gibraltar et Minorque ?

Ce qui est singulier, c’est le nombre de renégats espagnols, français, anglais, qu’on a trouvés dans les États de Maroc. On a vu un Espagnol, nommé Pérès, amiral sous l’empire de Mulei Ismaël ; un Français, nommé Pilet, gouverneur de Salé ; une Irlandaise concubine du tyran Ismaël ; quelques marchands anglais établis à Tétuan. L’espérance de faire fortune chez les nations ignorantes