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DES CÔTES D’AFRIQUE.

redin Barberousse aima mieux être amiral du Grand Seigneur que roi d’Alger. Il céda cette province à Soliman, et, de roi qu’il était, il se contenta d’en être bacha. Depuis ce temps jusqu’au commencement du XVIIe siècle, Alger fut gouvernée par les bachas que la Porte y envoyait ; mais enfin la même administration qui s’établit à Tripoli et à Tunis se forma dans Alger, devenue une retraite de corsaires. Aussi un de leurs derniers deys disait au consul de la nation anglaise, qui se plaignait de quelques prises : « Cessez de vous plaindre au capitaine des voleurs, quand vous avez été volé. »

Dans toute cette partie de l’Afrique on trouve encore des monuments des anciens Romains, et on n’y voit pas un seul vestige de ceux des chrétiens, quoiqu’il y eût beaucoup plus d’évêchés que dans l’Espagne et dans la France ensemble. Il y en a deux raisons : l’une, que les plus anciens édifices, bâtis de pierre dure, de marbre, et de ciment, dans les climats secs, résistent à la destruction plus que les nouveaux ; l’autre, que des tombeaux avec l’inscription Diis Manibus, que les barbares n’entendent point, ne les révoltent pas, et que la vue des symboles du christianisme excite leur fureur.

Dans les beaux siècles des Arabes, les sciences et les arts fleurirent chez ces Numides ; aujourd’hui ils ne savent pas même régler leur année, et, en faisant sans cesse le métier de pirate, ils n’ont pas même un pilote qui sache prendre hauteur, pas un bon constructeur de vaisseau. Ils achètent des chrétiens, et surtout des Hollandais, les agrès, les canons, la poudre, dont ils se servent pour s’emparer de nos vaisseaux marchands ; et les puissances chrétiennes, au lieu de détruire ces ennemis communs, sont occupés à se ruiner mutuellement.

Constantinople fut toujours regardée comme la capitale de tant de régions. Sa situation semble faite pour leur commander. Elle a l’Asie devant elle, l’Europe derrière. Son port, aussi sûr que vaste, ouvre et ferme l’entrée de la mer Noire à l’orient, et de la Méditerranée à l’occident. Rome, bien moins avantageusement située, dans un terrain ingrat, et dans un coin de l’Italie où la nature n’a fait aucun port commode, semblait bien moins propre à dominer sur les nations ; cependant elle devint la capitale d’un empire deux fois plus étendu que celui des Turcs : c’est que les anciens Romains ne trouvèrent aucun peuple qui entendit comme eux la discipline militaire, et que les Ottomans, après avoir conquis Constantinople, ont trouvé presque tout le reste de l’Europe aussi aguerri et mieux discipliné qu’eux.