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DE L’EMPIRE OTTOMAN AU XVIe SIÈCLE.

de soumettre l’Égypte. C’eût été une entreprise aisée, s’il n’avait eu que des Égyptiens à combattre ; mais l’Égypte était gouvernée et défendue par une milice formidable d’étrangers, semblable à celle des janissaires. C’étaient des Circasses venus encore de la Tartarie : on les appelai Mameluks, qui signifie esclaves ; soit qu’en effet le premier Soudan d’Égypte qui les employa les eût achetés comme esclaves, soit plutôt que ce fût un nom qui les attachât de plus près à la personne du souverain, ce qui est bien plus vraisemblable. En effet, la manière figurée dont on parle chez tous les Orientaux y a toujours introduit chez les princes les titres les plus ridiculement pompeux, et chez leurs serviteurs les noms les plus humbles. Les bâchas du Grand Seigneur s’intitulent ses esclaves ; et Thamas Kouli-kan, qui de nos jours a fait crever les yeux à Thamas son maître, ne s’appelait que son esclave, comme ce mot même de Kouli le témoigne.

Ces mameluks étaient les maîtres de l’Égypte depuis nos dernières croisades. Ils avaient vaincu et pris le malheureux saint Louis. Ils établirent depuis ce temps un gouvernement qui n’est pas différent de celui d’Alger. Un roi et vingt-quatre gouverneurs de provinces étaient choisis entre ces soldats. La mollesse du climat n’affaiblit point cette race guerrière, parce qu’elle se renouvelait tous les ans par l’affluence des autres Circasses appelés sans cesse pour remplir ce corps de vainqueurs toujours subsistant. L’Égypte fut ainsi gouvernée pendant près de trois cents années.

Il se présente ici un champ bien vaste pour les conjectures historiques. Nous voyons l’Égypte longtemps subjuguée par les peuples de l’ancienne Colchide, habitants de ces pays barbares qui sont aujourd’hui la Géorgie, la Circassie et la Mingrélie. Il faut bien que ces peuples aient été autrefois plus recommandables qu’aujourd’hui, puisque le premier voyage des Grecs à Colchos est une des grandes époques de la Grèce. Il est indubitable que les usages et les mœurs de la Colchide tenaient beaucoup de ceux de l’Égypte ; ils avaient pris des prêtres égyptiens jusqu’à la circoncision. Hérodote, qui avait voyagé en Égypte et en Colchide, et qui parlait à des Grecs instruits, ne nous laisse aucun lieu de douter de cette conformité ; il est fidèle et exact sur tout ce qu’il a vu ; mais on l’accuse de s’être trompé sur tout ce qu’on lui a dit. Les prêtres d’Égypte lui ont confirmé qu’autrefois le roi Sésostris étant sorti de son pays dans le dessein de conquérir toute la terre, il n’avait pas manqué d’envelopper la Colchide dans ses conquêtes, et que c’était depuis ce temps-là que l’usage de la circoncision s’était conservé à Colchos.