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CHAPITRE CLV.

velle, et que le grand changement dans la religion chrétienne changeait les intérêts de tant de rois, il faut vous représenter dans quel état était le reste de notre ancien univers.

Nous avons laissé[1], vers la fin du XIIIe siècle, la race de Gengis souveraine dans la Chine, dans l’Inde, dans la Perse, et les Tartares portant la destruction jusqu’en Pologne et en Hongrie. La branche de cette famille victorieuse qui régna dans la Chine s’appelle Yven. On ne reconnaît point dans ce nom celui d’Octaï-kan, ni celui de Coblaï, son frère, dont la race régna un siècle entier. Ces vainqueurs prirent avec un nom chinois les mœurs chinoises. Tous les usurpateurs veulent conserver par les lois ce qu’ils ont envahi par les armes. Sans cet intérêt si naturel de jouir paisiblement de ce qu’on a volé, il n’y aurait pas de société sur la terre. Les Tartares trouvèrent les lois des vaincus si belles, qu’ils s’y soumirent pour mieux s’affermir. Ils conservèrent surtout avec soin celle qui ordonne que personne ne soit ni gouverneur ni juge dans la province où il est né : loi admirable, et qui d’ailleurs convenait à des vainqueurs.

Cet ancien principe de morale et de politique, qui rend les pères si respectables aux enfants, et qui fait regarder l’empereur comme le père commun, accoutuma bientôt les Chinois à l’obéissance volontaire. La seconde génération oublia le sang que la première avait perdu. Il y eut neuf empereurs consécutifs de la même race tartare, sans que les annales chinoises fassent mention de la moindre tentative de chasser ces étrangers. Un des arrière-petits-fils de Gengis fut assassiné dans son palais ; mais il le fut par un Tartare, et son héritier naturel lui succéda sans aucun trouble.

Enfin ce qui avait perdu les califes, ce qui avait autrefois détrôné les rois de Perse et ceux d’Assyrie, renversa ces conquérants ; ils s’abandonnèrent à la mollesse. Le neuvième empereur du sang de Gengis, entouré de femmes et de prêtres lamas qui le gouvernaient tour à tour, excita le mépris, et réveilla le courage des peuples. Les bonzes, ennemis des lamas, furent les premiers auteurs de la révolution. Un aventurier qui avait été valet dans un couvent de bonzes, s’étant mis à la tête de quelques brigands, se fit déclarer chef de ceux que la cour appelait les révoltés. On voit vingt exemples pareils dans l’empire romain, et surtout dans celui des Grecs. La terre est un vaste théâtre où la même tragédie se joue sous des noms différents.

Cet aventurier chassa la race des Tartares en 1357, et com-

  1. Chapitre lx.