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CHAPITRE CLIII.

les peuples par la morale. Placés entre douze petites nations que nous appelons sauvages, ils n’eurent de différends avec aucune ; elles regardaient Penn comme leur arbitre et leur père. Lui et ses primitifs, qu’on appelle Quakers[1] et qui ne doivent être appelés que du nom de Justes, avaient pour maxime de ne jamais faire la guerre aux étrangers, et de n’avoir point entre eux de procès. On ne voyait point de juges parmi eux, mais des arbitres qui, sans aucuns frais, accommodaient toutes les affaires litigieuses. Point de médecins chez ce peuple sobre, qui n’en avait pas besoin.

La Pensylvanie fut longtemps sans soldats, et ce n’est que depuis peu que l’Angleterre en a envoyé pour les défendre, quand on a été en guerre avec la France. Ôtez ce nom de Quaker, cette habitude révoltante et barbare de trembler en parlant dans leurs assemblées religieuses, et quelques coutumes ridicules, il faudra convenir que ces primitifs sont les plus respectables de tous les hommes : leur colonie est aussi florissante que leurs mœurs ont été pures. Philadelphie, ou la ville des Frères, leur capitale, est une des plus belles villes de l’univers ; et on a compté cent quatre-vingt mille hommes dans la Pensylvanie en 1740. Ces nouveaux citoyens ne sont pas tous du nombre des primitifs ou quakers ; la moitié est composée d’Allemands, de Suédois, et d’autres peuples qui forment dix-sept religions. Les primitifs qui gouvernent regardent tous ces étrangers comme leurs frères[2].

Au delà de cette contrée, unique sur la terre, où s’est réfugiée la paix bannie partout ailleurs, vous rencontrez la Nouvelle-Angleterre, dont Boston, la ville la plus riche de toute cette côte, est la capitale.

Elle fut habitée d’abord et gouvernée par des puritains persécutés en Angleterre par ce Laud, archevêque de Cantorbéry, qui depuis paya de sa tête ses persécutions, et dont l’échafaud servit à élever celui du roi Charles Ier. Ces puritains, espèce de calvinistes, se réfugièrent vers l’an 1620 dans ce pays, nommé depuis la Nouvelle-Angleterre. Si les épiscopaux les avaient poursuivis dans leur ancienne patrie, c’étaient des tigres qui avaient fait la guerre à des ours. Ils portèrent en Amérique leur humeur sombre et féroce, et vexèrent en toute manière les pacifiques

  1. Sur les Quakers, voyez les quatre premières des Lettres philosophiques, dans les Mélanges, année 1734.
  2. Cette respectable colonie a été forcée de connaître enfin la guerre, et menacée d’être détruite par les armes de l’Angleterre, la mère patrie, en 1776 et 1777. (Note de Voltaire.)