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DES ILES FRANÇAISES, ET DES FLIBUSTIERS.

CHAPITRE CLII.


Des îles françaises, et des flibustiers.


Les possessions les plus importantes que les Français ont acquises avec le temps sont la moitié de l’île Saint-Domingue, la Martinique, la Guadeloupe, et quelques petites îles Antilles : ce n’est pas la deux-centième partie des conquêtes espagnoles ; mais on en a tiré enfin de grands avantages.

Saint-Domingue est cette même île Hispaniola, que les habitants nommaient Haïti, découverte par Colombo, et dépeuplée par les Espagnols. Les Français n’ont pas trouvé, dans la partie qu’ils habitent, l’or et l’argent qu’on y trouvait autrefois, soit que les métaux demandent une longue suite de siècles pour se former, soit plutôt qu’il n’y en ait qu’une quantité déterminée dans la terre, et que la mine ne renaisse plus ; l’or et l’argent en effet n’étant point des mixtes, il est difficile de concevoir ce qui les reproduirait. Il y a encore des mines de ces métaux dans le terrain qui reste aux Espagnols ; mais les frais n’étant pas compensés par le profit, on a cessé d’y travailler.

La France n’est entrée en partage de cette île avec l’Espagne que par la hardiesse désespérée d’un peuple nouveau que le hasard composa d’Anglais, de Bretons, et surtout de Normands. On les a nommés boucaniers, flibustiers : leur union et leur origine furent à peu près celles des anciens Romains ; leur courage fut plus impétueux et plus terrible. Imaginez des tigres qui auraient un peu de raison : voilà ce qu’étaient les flibustiers ; voici leur histoire.

Il arriva, vers l’an 1625, que des aventuriers français et anglais abordèrent en même temps dans une île des Caraïbes, nommée Saint-Christophe par les Espagnols, qui donnaient presque toujours le nom d’un saint aux pays dont ils s’emparaient, et qui égorgeaient les naturels au nom d’un saint. Il fallut que ces nouveaux venus, malgré l’antipathie naturelle des deux nations, se réunissent contre les Espagnols. Ceux-ci, maîtres de toutes les îles voisines comme du continent, vinrent avec des forces supérieures. Le commandant français échappa, et retourna en France. Le commandant anglais capitula ; les plus déterminés des Français et des Anglais gagnèrent dans des bar-