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DE LA CONQUÊTE DU PÉROU.

avec environ quarante mille soldats armés de flèches et de piques d’or et d’argent. Pizarro commença, comme Cortès, par une ambassade, et offrit à l’inca l’amitié de Charles-Quint. L’inca répond qu’il ne recevra pour amis les déprédateurs de son empire que quand ils auront rendu tout ce qu’ils ont ravi sur leur route ; et après cette réponse il marche aux Espagnols. Quand l’armée de l’inca et la petite troupe castillane furent en présence, les Espagnols voulurent encore mettre de leur côté jusqu’aux apparences de la religion. Un moine nommé Valverda, fait évêque de ce pays même qui ne leur appartenait pas encore, s’avance avec un interprète vers l’inca, une Bible à la main, et lui dit qu’il faut croire tout ce qui est dans ce livre. Il lui fait un long sermon de tous les mystères du christianisme. Les historiens ne s’accordent pas sur la manière dont le sermon fut reçu ; mais ils conviennent tous que la prédication finit par le combat.

Les canons, les chevaux, et les armes de fer, firent sur les Péruviens le même effet que sur les Mexicains ; on n’eut guère que la peine de tuer, et Atabalipa, arraché de son trône d’or par les vainqueurs, fut chargé de fers.

Cet empereur, pour se procurer une liberté prompte, promit une trop grosse rançon ; il s’obligea, selon Herrera et Zarata, de donner autant d’or qu’une des salles de ses palais pouvait en contenir jusqu’à la hauteur de sa main, qu’il éleva en l’air au-dessus de sa tête. Aussitôt ses courriers partent de tous côtés pour assembler cette rançon immense : l’or et l’argent arrivent tous les jours au quartier des Espagnols ; mais soit que les Péruviens se lassassent de dépouiller l’empire pour un captif, soit qu’Atabalipa ne les pressât pas, on ne remplit point toute l’étendue de ses promesses. Les esprits des vainqueurs s’aigrirent, leur avarice trompée monta à cet excès de rage qu’ils condamnèrent l’empereur à être brûlé vif ; toute la grâce qu’ils lui promirent, c’est qu’en cas qu’il voulût mourir chrétien, on l’étranglerait avant de le brûler. Ce même évêque Valverda lui parla de christianisme par un interprète ; il le baisa, et immédiatement après on le pendit, et on le jeta dans les flammes. Le malheureux Garcilasso, inca devenu espagnol, dit qu’Atabalipa avait été très-cruel envers sa famille, et qu’il méritait la mort ; mais il n’ose pas dire que ce n’était point aux Espagnols à le punir. Quelques écrivains témoins, oculaires, comme Zarata, prétendent que François Pizarro était déjà parti pour aller porter à Charles-Quint une partie des trésors d’Atabalipa, et que d’Almagro seul fut coupable de cette barbarie. Cet évêque de Chiapa, que j’ai déjà cité, ajoute qu’on fit souffrir