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DE FERNAND CORTÈS.

contre quatre-vingts Espagnols occupés à se défendre et à garder l’empereur. Ils assiégèrent Cortès pour délivrer leur roi ; ils se précipitèrent en foule contre les canons et les mousquets. Antonio de Solis appelle cette action une révolte, et cette valeur une brutalité : tant l’injustice des vainqueurs a passé jusqu’aux écrivains !

L’empereur Montezuma mourut dans un de ces combats, blessé malheureusement de la main de ses sujets. Cortès osa proposer à ce roi, dont il causait la mort, de mourir dans le christianisme ; sa concubine dona Marina était la catéchiste. Le roi mourut en implorant inutilement la vengeance du ciel contre les usurpateurs. Il laissa des enfants plus faibles encore que lui, auxquels les rois d’Espagne n’ont pas craint de laisser des terres dans le Mexique même ; et aujourd’hui les descendants en droite ligne de ce puissant empereur vivent à Mexico même. On les appelle les comtes de Montezuma ; ils sont de simples gentilshommes chrétiens, et confondus dans la foule. C’est ainsi que les sultans turcs ont laissé subsister à Constantinople une famille des Paléologues. Les Mexicains créèrent un nouvel empereur, animé comme eux du désir de la vengeance. C’est ce fameux Gatimozin, dont la destinée fut encore plus funeste que celle de Montezuma. Il arma tout le Mexique contre les Espagnols.

Le désespoir, l’opiniâtreté de la vengeance et de la haine, précipitaient toujours ces multitudes contre ces mêmes hommes qu’ils n’osaient regarder auparavant qu’à genoux. Les Espagnols étaient fatigués de tuer, et les Américains se succédaient en foule sans se décourager. Cortès fut obligé de quitter la ville, où il eût été affamé ; mais les Mexicains avaient rompu toutes les chaussées. Les Espagnols firent des ponts avec les corps des ennemis ; mais dans leur retraite sanglante ils perdirent tous les trésors qu’ils avaient ravis pour Charles-Quint et pour eux. Chaque jour de marche était une bataille : on perdait toujours quelque Espagnol, dont le sang était payé par la mort de plusieurs milliers de ces malheureux qui combattaient presque nus.

Cortès n’avait plus de flotte. Il fit faire par ses soldats, et par les Tlascaliens qu’il avait avec lui, neuf bateaux, pour rentrer dans Mexico par le lac même qui semblait lui en défendre l’entrée.

Les Mexicains ne craignirent point de donner un combat naval. Quatre à cinq mille canots, chargés chacun de deux hommes, couvrirent le lac, et vinrent attaquer les neuf bateaux de Cortès, sur lesquels il y avait environ trois cents hommes. Ces neuf brigantins qui avaient du canon renversèrent bientôt la flotte ennemie. Cortès avec le reste de ses troupes combattait sur les chaus-