Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
381
DE COLOMBO, ET DE L’AMÉRIOUE.

de génie et ces caractères des nations qu’on voit si rarement changer. C’est par là que les nègres sont les esclaves des autres hommes. On les achète sur les côtes d’Afrique comme des bêtes, et les multitudes de ces noirs, transplantés dans nos colonies d’Amérique, servent un très-petit nombre d’Européans. L’expérience a encore appris quelle supériorité ces Européans ont sur les Américains, qui, aisément vaincus partout, n’ont jamais osé tenter une révolution, quoiqu’ils fussent plus de mille contre un.

Cette partie de l’Amérique était encore remarquable par des animaux et des végétaux que les trois autres parties du monde n’ont pas, et par le besoin de ce que nous avons. Les chevaux, le blé de toute espèce, le fer, étaient les principales productions qui manquaient dans le Mexique et dans le Pérou. Parmi les denrées ignorées dans l’ancien monde, la cochenille fut une des premières et des plus précieuses qui nous furent apportées : elle fit oublier la graine d’écarlate, qui servait de temps immémorial aux belles teintures rouges.

Au transport de la cochenille on joignit bientôt celui de l’indigo, du cacao, de la vanille, des bois qui servent à l’ornement, ou qui entrent dans la médecine, enfin du quinquina, seul spécifique contre les fièvres intermittentes, placé par la nature dans les montagnes du Pérou, tandis qu’elle a mis la fièvre dans le reste du monde. Ce nouveau continent possède aussi des perles, des pierres de couleur, des diamants.

Il est certain que l’Amérique procure aujourd’hui aux moindres citoyens de l’Europe des commodités et des plaisirs. Les mines d’or et d’argent n’ont été utiles d’abord qu’aux rois d’Espagne et aux négociants. Le reste du monde en fut appauvri : car le grand nombre, qui ne fait point le négoce, s’est trouvé d’abord en possession de peu d’espèces en comparaison des sommes immenses qui entraient dans les trésors de ceux qui profitèrent des premières découvertes. Mais peu à peu cette affluence d’argent et d’or, dont l’Amérique a inondé l’Europe, a passé dans plus de mains et s’est plus également distribuée. Le prix des denrées a haussé dans toute l’Europe à peu près dans la même proportion.

Pour comprendre, par exemple, comment les trésors de l’Amérique ont passé des mains espagnoles dans celles des autres nations, il suffira de considérer ici deux choses : l’usage que Charles-Quint et Philippe II firent de leur argent, et la manière dont les autres peuples entrent en partage des mines du Pérou.