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DE L’ÉTHIOPIE, OU ABYSSINIE.

Nil. On donna alors le nom de Prêtre-Jean au Négus ou roi d’Éthiopie, sans autre raison de l’appeler ainsi que parce qu’il se disait issu de la race de Salomon par la reine de Saba, et parce que depuis les croisades on assurait qu’on devait trouver dans le monde un roi chrétien nommé le Prêtre-Jean : le négus n’était pourtant ni chrétien ni prêtre.

Tout le fruit des voyages en Éthiopie se réduisit à obtenir une ambassade du roi de ce pays au pape Clément VII. Le pays était pauvre, avec des mines d’argent qu’on dit abondantes. Les habitants, moins industrieux que les Américains, ne savaient ni mettre en œuvre ces trésors, ni tirer parti des trésors véritables que la terre fournit pour les besoins réels des hommes.

En effet on voit une lettre d’un David, négus d’Éthiopie, qui demande au gouverneur portugais dans les Indes des ouvriers de toute espèce : c’était bien là être véritablement pauvre. Les trois quarts de l’Afrique et l’Asie septentrionale étaient dans la même indigence. Nous pensons, dans l’opulente oisiveté de nos villes, que tout l’univers nous ressemble ; et nous ne songeons pas que les hommes ont vécu longtemps comme le reste des animaux, ayant souvent à peine le couvert et la pâture au milieu même des mines d’or et de diamant.

Ce royaume d’Éthiopie, tant vanté, était si faible qu’un petit roi mahométan, qui possédait un canton voisin, le conquit presque tout entier au commencement du XVIe siècle. Nous avons la fameuse lettre de Jean Bermudes au roi de Portugal don Sébastien, par laquelle nous pouvons nous convaincre que les Éthiopiens ne sont pas ce peuple indomptable dont parle Hérodote, ou qu’ils ont bien dégénéré. Ce patriarche latin, envoyé avec quelques soldats portugais, protégeait le jeune négus de l’Abyssinie contre ce roi maure qui avait envahi ses États ; et malheureusement, quand le grand négus fut rétabli, le patriarche voulut toujours le protéger. Il était son parrain, et se croyait son maître en qualité de père spirituel et de patriarche. Il lui ordonna de rendre obéissance au pape, et lui dénonça qu’il l’excommuniait en cas de refus. Alfonse d’Albuquerque n’agissait pas avec plus de hauteur avec les petits princes de la presqu’île du Gange. Mais enfin le filleul, rétabli sur son trône d’or, respecta peu son parrain, le chassa de ses États, et ne reconnut point le pape[1].

  1. Jean Bermudez, médecin de Lisbonne, fut envoyé en Abyssinie par le gouvernement portugais, et y résida trente ans, avec les titres d’ambassadeur et de patriarche. Il revint mourir dans sa patrie en 1575. (E. B.)