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CHAPITRE CXLII.

qu’on croit si fréquent dans ces deux extrémités de notre hémisphère. Mais les îles du Japon n’ont jamais été subjuguées ; celles de la Grande-Bretagne l’ont été plus d’une fois. Les Japonais ne paraissent pas être un mélange de différents peuples, comme les Anglais et presque toutes nos nations : ils semblent être aborigènes. Leurs lois, leur culte, leurs mœurs, leur langage, ne tiennent rien de la Chine ; et la Chine, de son côté, semble originairement exister par elle-même, et n’avoir que fort tard reçu quelque chose des autres peuples. C’est cette grande antiquité des peuples de l’Asie qui vous frappe. Ces peuples, excepté les Tartares, ne se sont jamais répandus loin de leurs limites, et vous voyez une nation faible, resserrée, peu nombreuse, à peine comptée auparavant dans l’histoire du monde, venir en très-petit nombre du port de Lisbonne découvrir tous ces pays immenses, et s’y établir avec splendeur.

Jamais commerce ne fut plus avantageux aux Portugais que celui du Japon. Ils en rapportaient, à ce que disent les Hollandais, trois cents tonnes d’or chaque année ; et on sait que cent mille florins font ce que les Hollandais appellent une tonne. C’est beaucoup exagérer ; mais il paraît, par le soin qu’ont ces républicains industrieux et infatigables de se conserver le commerce du Japon à l’exclusion des autres nations, qu’il produisait, surtout dans les commencements, des avantages immenses. Ils y achetaient le meilleur thé de l’Asie, les plus belles porcelaines, de l’ambre gris, du cuivre d’une espèce supérieure au nôtre, enfin l’argent et l’or, objet principal de toutes ces entreprises. Ce pays possède, comme la Chine, presque tout ce que nous avons, et presque tout ce qui nous manque. Il est aussi peuplé que la Chine à proportion : la nation est plus fière et plus guerrière. Tous ces peuples étaient autrefois bien supérieurs à nos peuples occidentaux dans tous les arts de l’esprit et de la main. Mais que nous avons regagné le temps perdu ! Les pays où le Bramante et Michel-Ange ont bâti Saint-Pierre de Rome, où Raphaël a peint, où Newton a calculé l’infini, où Cinna et Athalie ont été écrits, sont devenus les premiers pays de la terre. Les autres peuples ne sont dans les beaux-arts que des barbares ou des enfants, malgré leur antiquité, et malgré tout ce que la nature a fait pour eux.

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