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DE L’INQUISITION.

l’assistance de trois sénateurs. Par ce règlement, et par plusieurs autres aussi politiques, l’autorité de ce tribunal fut anéantie à Venise à force d’être éludée.

Un royaume où il semblait que l’Inquisition dût s’établir avec le plus de facilité et de pouvoir est précisément celui où elle n’a jamais eu d’entrée : c’est le royaume de Naples. Les souverains de cet État et ceux de Sicile se croyaient en droit, par les concessions des papes, d’y exercer la juridiction ecclésiastique : le pontife romain et le roi disputant toujours à qui nommerait les inquisiteurs, on n’en nomma point, et les peuples profitèrent, pour la première fois, des querelles de leurs maîtres ; il y eut pourtant dans Naples et Sicile moins d’hérétiques qu’ailleurs. Cette paix de l’Église dans ces royaumes prouva bien que l’Inquisition était moins un rempart de la foi qu’un fléau inventé pour troubler les hommes.

(1478) Elle fut enfin autorisée en Sicile, après l’avoir été en Espagne par Ferdinand et Isabelle ; mais elle fut en Sicile, plus encore qu’en Castille, un privilége de la couronne, et non un tribunal romain : car en Sicile c’est le roi qui est pape.

Il y avait déjà longtemps qu’elle était reçue dans l’Aragon : elle y languissait ainsi qu’en France, sans fonctions, sans ordre, et presque oubliée.

Mais ce ne fut qu’après la conquête de Grenade qu’elle déploya dans toute l’Espagne cette force et cette rigueur que jamais n’avaient eues les tribunaux ordinaires. Il faut que le génie des Espagnols eût alors quelque chose de plus austère et de plus impitoyable que celui des autres nations. On le voit par les cruautés réfléchies dont ils inondèrent bientôt après le nouveau monde. On le voit surtout ici par l’excès d’atrocité qu’ils mirent dans l’exercice d’une juridiction où les Italiens, ses inventeurs, mettaient beaucoup plus de douceur. Les papes avaient érigé ces tribunaux par politique ; et les inquisiteurs espagnols y ajoutèrent la barbarie.

Lorsque Mahomet II eut subjugué Constantinople et la Grèce, lui et ses successeurs laissèrent les vaincus vivre en paix dans leur religion ; et les Arabes, maîtres de l’Espagne, n’avaient jamais forcé les chrétiens régnicoles à recevoir le mahométisme. Mais après la prise de Grenade, le cardinal Ximénès voulut que tous les Maures fussent chrétiens, soit qu’il y fût porté par zèle, soit qu’il écoutât l’ambition de compter un nouveau peuple soumis à sa primatie. C’était une entreprise directement contraire au traité par lequel les Maures s’étaient soumis, et il fallait du temps pour la faire réussir. Mais Ximénès voulut convertir les Maures aussi vite qu’on avait pris Grenade. On les prêcha, on les persécuta : ils se