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CHAPITRE CXXXIX.

cles : les dominicains et les franciscains furent nécessairement divisés, comme on l’a remarqué[1] ; chaque ordre semblait se rallier sous un étendard différent. Ce qu’on appelle esprit de corps anime toutes les sociétés.

Les instituts consacrés au soulagement des pauvres et au service des malades n’ont pas été les moins respectables. Peut-être n’est-il rien de plus grand sur la terre que le sacrifice que fait un sexe délicat de la beauté et de la jeunesse, souvent de la haute naissance, pour soulager dans les hôpitaux ce ramas de toutes les misères humaines dont la vue est si humiliante pour l’orgueil humain, et si révoltante pour notre délicatesse. Les peuples séparés de la communion romaine n’ont imité qu’imparfaitement une charité si généreuse ; mais aussi cette congrégation si utile est la moins nombreuse.

Il est une autre congrégation plus héroïque : car ce nom convient aux trinitaires de la rédemption des captifs, établis vers l’an 1120 par un gentilhomme nommé Jean de Matha. Ces religieux se consacrent depuis six cents ans à briser les chaînes des chrétiens chez les Maures : ils emploient à payer les rançons des esclaves leurs revenus et les aumônes qu’ils recueillent, et qu’ils portent eux-mêmes en Afrique.

On ne peut se plaindre de tels instituts ; mais on se plaint en général que la vie monastique a dérobé trop de sujets à la société civile. Les religieuses surtout sont mortes pour la patrie : les tombeaux où elles vivent sont presque tous très-pauvres ; une fille qui travaille de ses mains aux ouvrages de son sexe gagne beaucoup plus que ne coûte l’entretien d’une religieuse. Leur sort peut faire pitié, si celui de tant de couvents d’hommes trop riches peut faire envie. Il est bien évident que leur trop grand nombre dépeuplerait un État. Les Juifs, pour cette raison, n’eurent ni esséniennes ni filles thérapeutes : il n’y eut aucun asile consacré à la virginité en Asie ; les Chinois et les Japonais seuls ont quelques bonzesses, mais elles ne sont pas absolument inutiles ; il n’y eut jamais dans l’ancienne Rome que six vestales, encore pouvaient-elles sortir de leur retraite au bout d’un certain temps pour se marier ; les temples eurent très-peu de prêtresses consacrées à la virginité. Le pape saint Léon, dont la mémoire est si respectée, ordonna (458), avec d’autres évêques, qu’on ne donnerait jamais le voile aux filles avant l’âge de quarante ans, et l’empereur Majorien fit une loi de l’État de cette sage loi de

  1. Chapitre cxxix.