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DE LA RELIGION EN FRANCE SOUS FRANÇOIS Ier.
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parce qu’elles sont anciennes, aiguillonnaient dans leur nouveauté tous les esprits. Il y avait dans le parlement de Paris plus d’un membre attaché à ce qu’on appelait la réforme. Ce corps était toujours occupé à combattre les prétentions de l’Église de Rome, que l’hérésie détruisait. La liberté rigide et républicaine de quelques conseillers se plaisait encore à favoriser une secte sévère qui condamnait les débauches de la cour. Henri II, mécontent de plusieurs membres de ce corps, entre un jour inopinément dans la grand’chambre, tandis qu’on délibérait sur l’adoucissement de la persécution contre les huguenots. Il fait arrêter cinq conseillers (1554) : l’un d’eux, Anne du Bourg, qui avait parlé avec le plus de force, signa dans la Bastille sa confession de foi, qui se trouva conforme en beaucoup d’articles à celle des calvinistes et des luthériens.

Il y avait alors un inquisiteur en France, quoique le tribunal de l’Inquisition, qui est en horreur à tous les Français, n’y fût pas établi. L’évêque de Paris, cet inquisiteur, nommé Mouchy, et des commissaires du parlement, jugèrent et condamnèrent du Bourg, malgré l’ancienne loi suivant laquelle il ne devait être jugé que par les chambres du parlement assemblées ; loi toujours subsistante, toujours réclamée, et presque toujours inutile : car rien n’est si commun dans l’histoire de France que des membres du parlement jugés ailleurs que dans le parlement. Anne du Bourg ne fut exécuté que sous le règne de François II. Le cardinal de Lorraine, homme qui gouvernait l’État avec violence, voulait sa mort (1559) : on pendit et on brûla dans la Grève ce prêtre magistrat, esprit trop inflexible, mais juge intègre et d’une vertu reconnue[1].

Les martyrs font des prosélytes : le supplice d’un tel homme fit plus de réformés que les livres de Calvin. La sixième partie de la France était calviniste sous François II, comme le tiers de l’Allemagne, au moins, fut luthérien sous Charles-Quint.

Il ne restait qu’un parti à prendre : c’était d’imiter Charles-Quint, qui finit, après bien des guerres, par laisser la liberté de conscience, et la reine Élisabeth, qui, en protégeant la religion dominante, laissa chacun adorer Dieu suivant ses principes, pourvu qu’on fût soumis aux lois de l’État.

C’est ainsi qu’on en use aujourd’hui dans tous les pays désolés autrefois par les guerres de religion, après que trop d’expériences funestes ont fait connaître combien ce parti est salutaire.

  1. Voyez l’Histoire du Parlement, chapitre xxi. (Note de Voltaire.)