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CHAPITRE CXXXIV.

effet un très grand-crédit ; mais ils y ont fini enfin par en être chassés, avec défense d’y reparaître, sous peine d’être pendus. Partout où leur religion s’est établie, leur pouvoir a été restreint à la longue dans des bornes étroites par les princes, ou par les magistrats des républiques.

Les pasteurs calvinistes et luthériens ont eu partout des appointements qui ne leur ont pas permis de luxe. Les revenus des monastères ont été mis presque partout entre les mains de l’État, et appliqués à des hôpitaux. Il n’est resté de riches évêques protestants en Allemagne que ceux de Lubeck et d’Osnabruck, dont les revenus n’ont pas été distraits. Vous verrez, en continuant de jeter les yeux sur les suites de cette révolution, l’accord bizarre, mais pacifique, par lequel le traité de Vestphalie a rendu cet évêché d’Osnabruck alternativement catholique et luthérien. La réforme en Angleterre a été plus favorable au clergé anglican qu’elle ne l’a été en Allemagne, en Suisse, et dans les Pays-Bas, aux luthériens et aux calvinistes. Tous les évêchés sont considérables dans la Grande-Bretagne ; tous les bénéfices y donnent de quoi vivre honnêtement. Les curés de la campagne y sont plus à leur aise qu’en France : l’État et les séculiers n’y ont profité que de l’abolissement des monastères. Il y a des quartiers entiers à Londres qui ne formaient autrefois qu’un seul couvent, et qui sont peuplés aujourd’hui d’un très-grand nombre de familles. En général, toute nation qui a converti les couvents à l’usage public y a beaucoup gagné, sans que personne y ait perdu : car en effet on n’ôte rien à une société qui n’existe plus. On ne fit tort qu’aux possesseurs passagers que l’on dépouillait, et ils n’ont point laissé de descendants qui puissent se plaindre ; et si ce fut une injustice d’un jour, elle a produit un bien pour des siècles.

Il est arrivé enfin, par différentes révolutions, que l’Église latine a perdu plus de la moitié de l’Europe chrétienne, qu’elle avait eue presque tout entière en divers temps : car outre le pays immense qui s’étend de Constantinople jusqu’à Corfou, et jusqu’à la mer de Naples, elle n’a plus ni la Suède, ni la Norvége, ni le Danemark ; la moitié de l’Allemagne, l’Angleterre, l’Écosse, l’Irlande, la Hollande, les trois quarts de la Suisse, se sont séparés d’elle. Le pouvoir du siége de Rome a bien plus perdu encore : il ne s’est véritablement conservé que dans les pays immédiatement soumis au pape.

Cependant, avant qu’on pût poser tant de limites, et qu’on parvînt même à mettre quelque ordre dans la confusion, les deux partis catholique et luthérien mettaient alors l’Allemagne