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CHAPITRE CXXXII.
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entière ; et, dans les extrémités où le réduisait la famine, il refusa tout accommodement. (1536) Enfin il fut pris les armes à la main par une trahison des siens. Sa captivité ne lui ôta rien de son orgueil inébranlable : l’évêque lui ayant demandé comment il avait osé se faire roi, le prisonnier lui demanda à son tour de quel droit l’évêque osait être seigneur temporel : « J’ai été élu par mon chapitre, dit le prélat. — Et moi, par Dieu même », reprit Jean de Leyde. L’évêque, après l’avoir quelque temps montré de ville en ville, comme on fait voir un monstre, le fit tenailler avec des tenailles ardentes[1]. L’enthousiasme anabaptiste ne fut point éteint par le supplice que ce roi et ses complices subirent ; leurs frères des Pays-Bas furent sur le point de surprendre Amsterdam[2] : on extermina ce qu’on trouva de conjurés ; et dans ces temps-là tout ce qu’on rencontrait d’anabaptistes dans les Provinces-Unies était traité comme les Hollandais l’avaient été par les Espagnols : on les noyait, on les étranglait, on les brûlait ; conjurés ou non, tumultueux ou paisibles, on courut partout sur eux dans toute la basse Allemagne comme sur des monstres dont il fallait purger la terre.

Cependant la secte subsiste assez nombreuse, cimentée du sang des prosélytes, qu’ils appellent martyrs, mais entièrement différente de ce qu’elle était dans son origine : les successeurs de ces fanatiques sanguinaires sont les plus paisibles de tous les hommes, occupés de leurs manufactures et de leur négoce, laborieux, charitables. Il n’y a point d’exemple d’un si grand changement ; mais comme ils ne font aucune figure dans le monde, on ne daigne pas s’apercevoir s’ils sont changés ou non, s’ils sont méchants ou vertueux.

Ce qui a changé leurs mœurs, c’est qu’ils se sont rangés au parti des unitaires, c’est-à-dire de ceux qui ne reconnaissent qu’un seul Dieu, et qui, en révérant le Christ, vivent sans beaucoup de dogmes et sans aucune dispute ; hommes condamnés dans toutes les autres communions, et vivant en paix au milieu d’elles. Ainsi

  1. Le 22 janvier 1536. C’est Arnold Meshovins qui, dans son Historia anabaptistica (Cologne, 1617, in-4o), a dit que Jean Bokold avait été promené de ville en ville ; mais c’est une erreur. Les troupes épiscopales s’emparèrent de Munster dans la nuit du 25 au 26 juin 1535 ; et, le 14 juillet, Bokold, Kniperdolling et Bernard Krecthing, avec d’autres chefs anabaptistes, furent conduits à la forteresse de Dulmn, d’où ils ne revinrent à Munster que le 12 janvier 1536. On peut consulter à ce sujet un très-curieux ouvrage intitulé Jean Bockelson, ou le roi de Munster, fragment historique, par M. Baston, docteur de Sorbonne (Paris, Gauthier frères, 1824, in-8o). (E. B.)
  2. L’affaire d’Amsterdam eut lieu avant la prise de Jean de Leyde. (G. A.)