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SUITE DU LUTHÉRANISME ET DE L’ANABAPTlSME.

tains, haute Église anglicane, petite Église anglicane, tous sont désignés aujourd’hui sous ce nom. C’est une république immense, composée de factions diverses, qui se réunissent toutes contre Rome, leur ennemie commune.

(1530) Les luthériens présentèrent leur confession de foi dans Augsbourg, et c’est cette confession qui devint leur boussole ; le tiers de l’Allemagne y adhérait : les princes de ce parti se liguaient déjà contre l’autorité de Charles-Quint, ainsi que contre Rome. Mais le sang ne coulait point encore dans l’empire pour la cause de Luther : il n’y eut que les anabaptistes qui, toujours transportés de leur rage aveugle, et peu intimidés par l’exemple de leur chef Muncer, désolèrent l’Allemagne au nom de Dieu (1534). Le fanatisme n’avait point encore produit dans le monde une fureur pareille ; tous ces paysans, qui se croyaient prophètes, et qui ne savaient rien de l’Écriture sinon qu’il faut massacrer sans pitié les ennemis du Seigneur, se rendirent les plus forts en Vestphalie, qui était alors la patrie de la stupidité ; ils s’emparèrent de la ville de Munster, dont ils chassèrent l’évêque. Ils voulaient d’abord établir la théocratie des Juifs, et être gouvernés par Dieu seul ; mais un nommé Matthieu[1], leur principal prophète, ayant été tué, un garçon tailleur, nommé Jean de Leyde[2], né à Leyde en Hollande, assura que Dieu lui était apparu, et l’avait nommé roi : il le dit et le fit croire.

La pompe de son couronnement fut magnifique : on voit encore de la monnaie qu’il fit frapper ; ses armoiries étaient deux épées dans la même position que les clefs du pape. Monarque et prophète à la fois, il fit partir douze apôtres[3] qui allèrent annoncer son règne dans toute la basse Allemagne, Pour lui, à l’exemple des rois d’Israël, il voulut avoir plusieurs femmes, et en épousa jusqu’à dix à la fois[4]. L’une d’elles ayant parlé contre son autorité, il lui trancha la tête en présence des autres, qui, soit par crainte, soit par fanatisme, dansèrent avec lui autour du cadavre sanglant de leur compagne.

Ce roi prophète eut une vertu qui n’est pas rare chez les bandits et chez les tyrans, la valeur : il défendit Munster contre son évêque Valdec, avec un courage intrépide, pendant une année

  1. Ou plutôt Jean de Matthiesen.
  2. Ou plutôt Jean Bokold, surnommé Jean de Leyde.
  3. Lisez : vingt-huit.
  4. Lisez : quatre à la fois. Mais une seule eut le titre de reine. Le nombre des femmes de Jean de Leyde s’éleva progressivement à quinze. (G. A.)