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DES ANABAPTISTES.


Si les nouveautés n’avaient apporté que ces scandales paisibles, le monde eût été trop heureux ; mais l’Allemagne fut un théâtre de scènes plus tragiques.

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CHAPITRE CXXXI.


Des anabaptistes.


Deux fanatiques, nommés Stork et Muncer[1], nés en Saxe, se servirent de quelques passages de l’Écriture qui insinuent qu’on n’est point disciple de Christ sans être inspiré : ils prétendirent l’être.

(1523) Ce sont les premiers enthousiastes dont on ait ouï parler dans ces temps-là : ils voulaient qu’on rebaptisât les enfants, parce que le Christ avait été baptisé étant adulte ; c’est ce qui leur procura le nom d’anabaptistes. Ils se dirent inspirés, et envoyés pour réformer la communion romaine et la luthérienne, et pour faire périr quiconque s’opposerait à leur évangile, se fondant sur ces paroles : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive[2]. »

Luther avait réussi à faire soulever les princes, les seigneurs, les magistrats, contre le pape et les évêques. Muncer souleva les paysans contre tous ceux-ci : lui et ses disciples s’adressèrent aux habitants des campagnes en Souabe, en Misnie, dans la Thuringe, dans la Franconie. Ils développèrent cette vérité dangereuse qui est dans tous les cœurs, c’est que les hommes sont nés égaux, et que si les papes avaient traité les princes en sujets, les seigneurs traitaient les paysans en bêtes. À la vérité, le manifeste de ces sauvages, au nom des hommes qui cultivent la terre, aurait été signé par Lycurgue : ils demandaient qu’on ne levât sur eux que les dîmes des grains ; qu’une partie fût employée au soulagement des pauvres ; qu’on leur permît la chasse et la pêche pour se nourrir ; que l’air et l’eau fussent libres ; qu’on modérât leurs corvées ; qu’on leur laissât du bois pour se chauffer : ils

  1. Ou plutôt Munzer. (G. A.)
  2. Matth., x, 34.