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DE LUTHER. DES INDULGENCES.

dogmes encore qui ont été autrefois les sujets des plus vives querelles, et dont quelques-uns ont été combattus dans les derniers temps ; de sorte qu’il n’est aucun point de théologie sur lequel les hommes ne se soient divisés.

Il fallait bien qu’Aristote entrât dans la querelle, car il était alors le maître des écoles. Luther ayant affirmé que la doctrine d’Aristote était fort inutile pour l’intelligence de l’Écriture, la sacrée faculté de Paris traita cette assertion d’erronée et d’insensée. Les thèses les plus vaines étaient mêlées avec les plus profondes, et des deux côtés les fausses imputations, les injures atroces, les anathèmes, nourrissaient l’animosité des partis.

On ne peut, sans rire de pitié, lire la manière dont Luther traite tous ses adversaires, et surtout le pape. « Petit pape, petit papelin, vous êtes un âne, un ânon ; allez doucement, il fait glacé, vous vous rompriez les jambes, et on dirait : Que diable est ceci ? Le petit ânon de papelin est estropié. Un âne sait qu’il est âne, une pierre sait qu’elle est pierre ; mais ces petits ânons de papes ne savent pas qu’ils sont ânons. » Ces basses grossièretés, aujourd’hui si dégoûtantes, ne révoltaient point des esprits assez grossiers. Luther, avec ces bassesses d’un style barbare, triomphait dans son pays de toute la politesse romaine.

Si on s’en était tenu à des injures, Luther aurait fait moins de mal à l’Église romaine qu’Érasme ; mais plusieurs docteurs hardis, se joignant à lui, élevèrent leurs voix, non pas seulement contre les dogmes des scolastiques, mais contre le droit que les papes s’étaient arrogé depuis Grégoire VII de disposer des royaumes, contre le trafic de tous les objets de la religion, contre des oppressions publiques et particulières : ils étalaient dans les chaires et dans leurs écrits un tableau de cinq cents ans de persécutions ; ils représentaient l’Allemagne baignée dans le sang par les querelles de l’empire et du sacerdoce ; les peuples traités comme des animaux sauvages ; le purgatoire ouvert et fermé à prix d’argent par des incestueux, des assassins, et des empoisonneurs. De quel front un Alexandre VI, l’horreur de toute la terre, avait-il osé se dire le vicaire de Dieu ? et comment Léon X, dans le sein des plaisirs et des scandales, pouvait-il prendre ce titre ?

Tous ces cris excitaient les peuples ; et les docteurs de l’Allemagne allumaient plus de haine contre la nouvelle Rome que Varus n’en avait excité contre l’ancienne dans les mêmes climats.

La bizarre destinée qui se joue de ce monde voulut que le roi d’Angleterre Henri VIII entrât dans la dispute. Son père l’avait fait instruire dans les vaines et absurdes sciences de ce temps-là.