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CHAPITRE CXXVII.

beaucoup sur le reste de l’Europe. Il n’y avait aucun potentat italien qui eût plus de terres, excepté le roi de Naples, lequel relevait encore de la tiare.

(1513) Dans ces circonstances favorables, les vingt-quatre cardinaux qui composaient alors tout le collége élurent Jean de Médicis, arrière-petit-fils de ce grand Cosme de Médicis, simple négociant, et père de la patrie.

Créé cardinal à quatorze ans, il fut pape à l’âge de trente-six, et prit le nom de Léon X. Sa famille alors était rentrée en Toscane. Léon eut bientôt le crédit de mettre son frère Pierre à la tête du gouvernement de Florence. Il fit épouser à son autre frère, Julien le Magnifique, la princesse de Savoie, duchesse de Nemours, et le fit un des plus puissants seigneurs d’Italie. Ces trois frères, élevés par Ange Politien et par Chalcondyle, étaient tous trois dignes d’avoir eu de tels maîtres. Tous trois cultivaient à l’envi les lettres et les beaux-arts ; ils méritèrent que ce siècle s’appelât le siècle des Médicis. Le pape surtout joignait le goût le plus fin à la magnificence la plus recherchée. Il excitait les grands génies dans tous les arts par ses bienfaits, et par son accueil plus séduisant encore. Son couronnement coûta cent mille écus d’or. Il fit représenter dans plusieurs fêtes publiques le Pénule de Plaute, la Calandra du cardinal Bibiena. On croyait voir renaître les beaux jours de l’empire romain. La religion n’avait rien d’austère, elle s’attirait le respect par des cérémonies pompeuses ; le style barbare de la daterie était aboli, et faisait place à l’éloquence des cardinaux Bembo et Sadolet, alors secrétaires des brefs, hommes qui savaient imiter la latinité de Cicéron, et qui semblaient adopter sa philosophie sceptique. Les comédies de l’Arioste et celles de Machiavel, quoiqu’elles respectent peu la pudeur et la piété, furent jouées souvent dans cette cour en présence du pape et des cardinaux, par les jeunes gens les plus qualifiés de Rome. Le mérite seul de ces ouvrages (mérite très-grand pour ce siècle) faisait impression. Ce qui pouvait offenser la religion n’était pas aperçu dans une cour occupée d’intrigues et de plaisirs, qui ne pensait pas que la religion pût être attaquée par ces libertés. En effet, comme il ne s’agissait ni du dogme ni du pouvoir, la cour romaine n’en était pas plus effarouchée que les Grecs et les anciens Romains ne le furent des railleries d’Aristophane et de Plaute.

Les affaires les plus graves, que Léon X savait traiter en maître, ne dérobèrent rien à ses plaisirs délicats. La conspiration même de plusieurs cardinaux contre sa vie, et le châtiment sévère qu’il en fit, n’altérèrent point la gaieté de sa cour.