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CHAPITRE CXXV.

ger une grande maison en mosquée : ainsi le même roi qui avait laissé périr dans son royaume tant de chrétiens de la communion de Luther par le plus cruel supplice, laissait les mahométans exercer leur religion dans ses États. Voilà la piété que le jésuite Daniel loue ; c’est ainsi que les historiens se déshonorent. Un historien citoyen eût avoué que la politique faisait brûler des luthériens et favorisait des musulmans.

André Doria est le héros qu’on peut mettre à la tête de tous ceux qui servirent la fortune de Charles-Quint. Il avait eu la gloire de battre ses galères devant Naples quand il était amiral de François ler, et que Gênes sa patrie était encore sous la domination de la France : il se crut ensuite obligé, comme le connétable de Bourbon, par des intrigues de cour, de passer au service de l’empereur. Il défit plusieurs fois les flottes de Soliman ; mais ce qui lui fit le plus d’honneur, ce fut de rendre la liberté à sa patrie, dont Charles-Quint lui permettait d’être souverain. Il préféra le titre de restaurateur à celui de maître : il établit le gouvernement tel qu’il subsiste aujourd’hui, et vécut jusqu’à quatre-vingt-quatorze ans l’homme le plus considéré de l’Europe. Gênes lui éleva une statue comme au libérateur de la patrie.

Cependant le comte d’Enghien répare l’affront de Nice par la victoire qu’il remporte à Cérisoles, (1544) dans le Piémont, sur le marquis del Vasto : jamais victoire ne fut plus complète. Quel fruit retira-t-on de cette glorieuse journée ? aucun. C’était le sort des Français de vaincre inutilement en Italie : les journées d’Agnadel, de Fornoue, de Ravenne, de Marignan, de Cérisoles, en sont des témoignages immortels.

Le roi d’Angleterre Henri VIII, par une fatalité inconcevable, s’alliait contre la France avec ce même empereur dont il avait répudié la tante si honteusement, et dont il avait déclaré la cousine bâtarde ; avec ce même empereur qui avait forcé le pape Clément VII à l’excommunier. Les princes oublient les injures comme les bienfaits quand l’intérêt parle ; mais il semble que c’était alors le caprice plus que l’intérêt qui liait Henri VIII avec Charles-Quint.

Il comptait marcher à Paris avec trente mille hommes : il assiégeait Boulogne-sur-Mer, tandis que Charles-Quint avançait en Picardie. Où était alors cette balance que Henri VIII voulait tenir ? Il ne voulait qu’embarrasser François Ier, et l’empêcher de traverser le mariage qu’il projetait entre son fils Édouard et Marie Stuart, qui fut depuis reine de France : quelle raison pour déclarer la guerre ?